Dans Présumé Coupable », Vincent Crase, qui a accompagné Alexandre Benalla, le 1er mai 2018, livre sa version de l’histoire. Un livre incomplet mais qui cache quelques anecdotes troublantes.
Il se décrit comme « l’acolyte », « le complice », de « l’affaire Benalla ». Vincent Crase, 46 ans, se débat au cœur de la tempête depuis les révélations du Monde, le 18 juillet 2018. Quelques mois plus tôt, le 1er mai, ses agissements, ainsi que ceux d’Alexandre Benalla, en marge des affrontements survenus ce jour-là, leur ont valu une mise en examen pour « violences en réunion ». Pourtant, à la lecture des 241 pages de Présumé coupable (éd. Plon), difficile de comprendre ce qui a poussé cet ancien scout à « braquer les projecteurs sur [sa] personne », une nouvelle fois. Il s’en explique dès les premières pages : voulant répondre à « la classe politico-médiatique hystérique et jamais rassasiée », il promet sa version de l’histoire.
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Des zones d’ombre gênantes
Sans suspens, le livre ne comporte aucune réponse ni révélation sur les zones d’ombre restantes du dossier. Rien sur la violation supposée de son contrôle judiciaire le 26 juillet 2018, alors qu’il a été mis en examen quatre jours plus tôt pour « violences en réunion », qui l’interdisait d’entrer en contact avec Alexandre Benalla. Rien, non plus, sur le contrat de sécurité noué entre sa société de sécurité privée, Mars, et l’oligarque russe Iskander Makhmudov. Rien, enfin, sur les images publiées sur Twitter par un salarié de La République en marche, puis retirées, qui provenaient d’une vidéosurveillance policière. Si, comme l’estime l’auteur, « le film n’a pas été raconté en entier », il en est grandement responsable.
Pour autant, son ouvrage n’est pas dénué de détails intimes sur la relation nouée depuis des années entre MM. Crase et Benalla. Ces « frères d’armes » se rencontrent à Evreux ; Alexandre Benalla fait partie d’une centaine d’aspirants réservistes sur la base aérienne de l’Eure. Crase est, lui, capitaine de réserve. Et, très vite, le courant passe. « Je m’imagine bien aller boire un verre avec lui, mais il est encore trop tôt pour s’échanger nos numéros de téléphone et briser le lien hiérarchique », écrit Vincent Crase.
Si les deux hommes gardent des contacts sporadiques entre 2010 et 2016, l’aîné va rapidement avoir l’occasion d’être le témoin de « l’ascension fulgurante » de son « ami ». Au mois d’octobre 2016, Benalla téléphone à Crase. Dialogue :
« – Tu connais En Marche ! ? »
– Oui. Enfin, j’en ai vaguement entendu parler.
– C’est le mouvement d’Emmanuel Macron.
– Oui, d’accord, je vois.
– Ils organisent un meeting après-demain à Strasbourg. T’es dispo ?
– Après-demain ? Oui, ça devrait le faire. C’est payé combien ?
– Rien, c’est du bénévolat. Mais il faut voir ça comme un investissement futur.
– OK. Tu peux compter sur moi. »
Les « grands yeux bleus » de Macron
Très vite, Vincent Crase est charmé par le futur président, « un jeune type dynamique ». Pourtant, à cette époque, « c’est surtout l’envie de travailler de nouveau aux côtés d’Alexandre » qui le pousse à accepter cette mission « pro bono ». A la fin du meeting, il est envoûté, tendance Barbara Cartland : « Il me regarde avec ses grands yeux bleus, écrit-il. Le regard de Macron ne se pose pas sur vous : il vous transperce ».
Au fil des pages, Présumé coupable s’applique à décrire l’amateurisme d’un mouvement, En Marche, que « l’affaire Benalla » a indirectement mis en lumière. Vincent Crase écrit par exemple qu’Emmanuel Macron, lui-même, était au courant des faits dès le soir du 1er mai. « J’ai envoyé un message au PR pour le prévenir. Il est en Australie. Il est furieux. C’est fini pour moi », confie Benalla à son ami.
Si l’estime de Crase envers Benalla est indéniable à la lecture de l’ouvrage, certaines anecdotes interpellent. Comme sur « l’impulsivité » dont peut faire l’objet le jeune chargé de mission à la présidence de la République. Un jour, avant l’élection de mai 2017, Crase le surprend qui s’emporte contre un agent de sécurité du QG de campagne, situé dans le XVe arrondissement. « Il se prend pour qui ? C’est juste une merde ! » explose Benalla face à cet homme faisant son travail. « Quand Alexandre s’énerve, il ne fait pas semblant », décrit Crase avec candeur.
« Demande à mon épouse, elle te donne les clefs »
L’un des chapitres les plus intéressants aborde cette fatidique date du 1er mai 2018. Du coup de fil de Benalla, invitant Crase à « assister aux opérations de maintien de l’ordre » jusqu’à ce que son « ADN de gendarme ressor(te) ». Il n’en démord pas : « Jamais nos agissements n’auraient été érigés en affaire d’Etat si l’ensemble de la journée avait été filmé et présenté aux Français ». S’il demande un brassard à un policier c’est parce qu’il cherche « un signe distinctif qui l’identifie comme appartenant au camp des gentils ». Quant à son intervention lors de l’interpellation d’un suspect, « elle relève d’un réflexe de citoyen et de solidarité ».
Au gré des pages, on apprend également que Crase était un proche de l’actuel ministre de l’Intérieur. A l’époque, Christophe Castaner est encore Délégué général de La République en marche. Le 9 mai, à l’occasion « d’un pot des anciens », il lui confie : « Si tu veux te reposer chez moi à Forcalquier, sache que tu y es le bienvenu. Demande à mon épouse, elle te donne les clefs. » Il n’est en revanche pas tendre envers Gérard Collomb, à qui il reproche d’avoir fait semblant de ne pas connaître Alexandre Benalla, lors de son audition au Sénat : « Le courage et le sens des responsabilités ne sont pas des qualités données à tout le monde, y compris au sommet de l’Etat », cingle-t-il.
Sa conclusion est aussi facile qu’amère. S’il reconnaît une « erreur », une « connerie », il ne compte pas en porter toute la charge. D’ailleurs cette « épreuve » l’a convaincu de quitter le France : « Si la classe politico-médiatique n’avait pas perdu son temps à monter en épingle une affaire d’été, peut-être aurait-elle été attentive aux vraies préoccupations des Français, celles qui entraînent aujourd’hui la crise des gilets jaunes. Je m’y reconnais en ce qu’elle traduit l’aveuglement de nos élites autocentrées. »
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