L’auteur et éditeur Éric Hazan est décédé aujourd’hui, le 6 juin 2024.
Avec la disparition à l’âge de 87 ans, d’Éric Hazan, fondateur de La Fabrique, l’édition française, autant que la gauche de la gauche de la gauche, perd l’une de ses plus grandes figures. Un combattant politique, un guerrier de l’édition indépendante, un compagnon du communisme primitif, un ami d’une cohorte de grands philosophes contemporains (Jacques Rancière, Giorgio Agamben, Alain Badiou, Frédéric Lordon, Grégoire Chamayou, Slavoj Zizek…), mais aussi de militant·es de la cause décoloniale, des quartiers populaires, de l’anticapitalisme et de la question sociale.
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Le livre du Comité invisible, L’insurrection qui vient, publié en 2007, avait, en dépit (ou à cause) de tous les soucis politiques et juridiques qu’il avait causés, liés à la fameuse “affaire Tarnac”, consolidé la santé financière de sa maison d’édition. Entendu à l’époque comme témoin par la police, Hazan avait défendu avec panache sa liberté d’éditeur et soutenu l’engagement des rédacteurs du Comité invisible, jusqu’à republier d’autres textes ensuite de la bande de Julien Coupat (À nos amis, Maintenant).
Aux livres citoyen·nes
“Mes lives sont des armes”, disait cet admirateur de Robespierre et de toutes les grandes figures révolutionnaires, pour signifier combien son métier d’éditeur n’avait de sens que parce qu’il activait des luttes, levait des barricades, quand bien même il restait exigeant sur la beauté de la langue.
C’est après avoir été chirurgien qu’il bascula dans l’édition, en reprenant la maison d’édition de son père, Hazan, en 1983, et surtout en créant, en 1998, La Fabrique, sa grande aventure éditoriale : un foyer intellectuel de l’extrême-gauche critique qui n’a jamais cessé d’assumer la conflictualité, y compris avec une tradition plus sage et réformiste de la gauche (qui le prenait souvent pour un radical agité).
Les désaccords et les combats furent la matière de son quotidien. Il n’avait pas la langue tendre, même si lui-même, en tant que personne, dégageait une vraie douceur. Comme si ses colères étaient étaient tamisées par son attention et sa générosité affective. Et tant pis pour ceux qui n’étaient pas de son camp !
Hazan à Paris
Son écriture, surtout, traduisait chez lui une ample sensibilité aux mots. Grand connaisseur de l’architecture de Paris, ville qu’il connaissait mieux que personne, il publia des livres majeurs sur le sujet, dont L’Invention de Paris. Il n’y a pas de pas perdus (Seuil, 2002), Une traversée de Paris, Le Tumulte de Paris… Le Paris dont Hazan se voulait l’habitant fut autant le Paris des journées de juin 1848 et de la Commune de 1871 que le Paris de son enfance, la ville des écrivain·es autant que celle des classes populaires.
Un Paris de barricades, un Paris bariolé, un Paris de batailles, un Paris des souvenirs. Il regrettait l’embourgeoisement continu des quartiers populaires, notamment sur la rive gauche. “C’est une objective décadence qui a frappé le cœur même de cette rive, entre le jardin des Plantes et la rue du Bac, entre le boulevard Montparnasse et la Seine. Elle a pour toile de fond un transfert de population. Quand j’habitais rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, à la fin des années 1950, des ouvriers vivaient dans le quartier, certes souvent au dernier étage dans de petites chambres avec les toilettes sur le palier, mais ils étaient là.”
De Paris à Gaza, du capitalisme mondialisé au monde de l’édition rattrapé par l’esprit de la marchandise…, son monde était un monde de luttes permanentes contre l’ordre établi. Ses insurrections passées restent ce qu’il y a eu de plus vivant et sincère dans le paysage de l’édition française des trente dernières années.
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