J’ai l’impression que lors du match Céline/Perec de la semaine dernière, c’est Céline qui a gagné. C’est lui qui a occupé de terrain, fait davantage la une des cahiers culture ou livres des journaux, créé le buzz, comme disent les vieux. Et ça me déçoit. Ça me rend triste, pour tout dire.
Hasard du calendrier, ont été publiés le même jour les textes inédits de ces deux écrivains majeurs : Guerre de Louis-Ferdinand Céline (ça n’a pas pu vous échapper…) et Lieux de Georges Perec. L’un, qu’on aime ou pas son style imprégné d’oralité, est un génie de la phrase ; l’autre, de la structure, de l’idée, du concept. À l’un, la fureur de la langue marquée par un dégoût des hommes, une énergie qui puise dans la haine et cogne à chaque mot, cinglant, cynique, désabusé ; à l’autre la délicatesse, la mélancolie, la tendresse, la conscience de la fragilité et de l’impermanence. Tous deux certes travaillés par la guerre et la mort, mais pas de la même façon. À Céline l’agressivité et le son à plein volume, à Perec d’assumer ce que ceux-ci auront engendré de vide, de corps vidés de leur vie, de fantômes et de souffrance.
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Car ces deux-là, s’ils ont construit une œuvre pétrie par l’histoire, se tiennent à l’opposé de son spectre : l’un, collabo et salaud notoire, qui écrivit en 1937 son premier pamphlet de propagande antisémite, pur appel au meurtre contre les juifs – trois ans après Guerre donc ; ne jamais croire ceux qui essaient d’en faire l’auteur d’une œuvre écrite pour lutter contre la guerre et la mort –, et le dernier en 1941, soit pendant l’Occupation et, faut-il le préciser, juste un an avant la Rafle du Vel d’Hiv. Et l’autre, juif, à jamais meurtri par la disparition de sa mère, déportée et tuée dans un camp de concentration, auteur d’une œuvre hantée par l’absence laissée par ce corps maternel mort, et à travers elle par tous ces corps assassinés, par la Shoah.
À Céline la langue tonitruante, la sueur des corps trop présents, à Perec l’ellipse, les blancs, le retrait de L’Homme qui dort. Personnellement, je serai toujours du côté de ce dernier, et son Lieux est un livre d’une beauté obsédante, à la dimension plus poétique et métaphysique que Guerre. Et c’est au coeur de ses ellipses, de ses “blancs” pérecquiens, de ses lettres manquantes, que résident les véritables stigmates de l’horreur de la guerre, sa plus effrayante vérité.
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