Succès de la rentrée littéraire de janvier, « En finir avec Eddy Bellegueule » raconte l’enfance d’Edouard Louis dans un milieu très défavorisé. Le Nouvel Obs a mené une enquête qui dérange par son racisme de classe et par sa conception rétrograde de la littérature.
On croyait ouvrir Le Nouvel Obs, et l’on se retrouve devant un article digne du Nouveau Détective. Lettres noires sur fond jaune criard pour un titre accrocheur : « Qui est vraiment Eddy Bellegueule ? » L’Obs a décidé de mener « l’enquête » autour du « phénomène » Edouard Louis, auteur de 21 ans dont le premier roman En finir avec Eddy Bellegueule s’est imposé comme le succès de la rentrée de janvier, avec plus de 75 000 exemplaires vendus. Ce livre évoque l’itinéraire d’Eddy Bellegueule, un enfant né dans un village du nord de la France, au sein d’une famille très démunie. Un milieu qui tolère mal la différence d’Eddy, souffre-douleur du collège, frappé et humilié parce qu’il est un « sale pédé ». Edouard Louis ne s’en est pas caché : Eddy, c’est lui, et la famille qu’il décrit, la sienne. Mais son livre est bel et bien un roman. Avec toute la part de reconstruction et de liberté que ce terme implique. Il n’empêche. Le Nouvel Obs a voulu vérifier les « faits » en envoyant un journaliste à Hallencourt, le village natal d’Edouard Louis. Absurde ? Oui, et pire encore. La démarche relève d’un voyeurisme malsain, avec un côté « Tintin chez les pauvres ».
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Une conception dangereusement dévoyée de la littérature
Parce qu’Edouard Louis ne tait rien de l’homophobie et du racisme qui existent dans le lumpenprolétariat dont il est issu, certains l’accusent de « mépris de classe », lui, le normalien qui parlerait désormais du point de vue surplombant des élites. Mais s’il y a mépris, voire racisme de classe, c’est bien dans l’article du Nouvel Obs, qui se délecte de l’incompréhension des gens du village face au roman d’Edouard Louis. Notons cette remarque tellement cocasse sur le maire d’Hallencourt interrogé sur Bourdieu : « Il nous regarde, interdit, comme si on parlait d’un champion de curling québécois. » Dans cette enquête qui réduit un objet littéraire à un règlement de comptes familial, le journaliste se repaît des confidences de Monique, mère d’Edouard, de sa colère face à la façon dont son fils caricature ses proches en « arriérés ».
L’Obs n’hésite pas à verser dans le sensationnalisme en décrivant une rencontre à la Fnac à laquelle participait Edouard Louis. Présente dans la salle, sa mère aurait tenté de l’interpeller avant d’être neutralisée par les employés de la Fnac. Cette rencontre, il se trouve que je l’animais. On est loin du psychodrame mis en scène par l’auteur de l’article. Au-delà de sa condescendance, l’article du Nouvel Obs révèle une conception dangereusement dévoyée de la littérature.
Nier le roman comme espace de liberté
Dès lors qu’il flirte avec le réel, le romancier serait sommé de se justifier, de donner des gages d’authenticité, sous peine d’être taxé d’imposteur, voire poursuivi en justice. C’est nier le roman comme espace de liberté et de (re)création, et cette dérive semble se généraliser. Il n’y a qu’à penser au récent procès de Christine Angot, attaquée par l’ex de son compagnon pour atteinte à la vie privée parce qu’elle s’était reconnue dans un personnage du roman Les Petits. Angot a été condamnée.
En 2008, c’est Lucie Ceccaldi, la mère de Michel Houellebecq qui lavait son linge sale en public, dans L’Innocente. Elle écrivait notamment : « Avec Michel, on pourra commencer à se reparler le jour où il ira sur la place publique, ses Particules élémentaires dans la main, et qu’il dira : ‘Je suis un menteur, je suis un imposteur, j’ai été un parasite, je n’ai jamais rien fait de ma vie, que du mal à tous ceux qui m’ont entouré. Et je demande pardon. » Voilà donc les romanciers sommés de s’excuser pour ce qu’ils font : écrire.
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