En sept nouvelles, Berta Marsé balance une poignée de personnages contre un événement inattendu. Un nouvel écrivain à suivre.
Une jeune coiffeuse n’a plus qu’une planche de salut : confectionner une perruque en quelques heures pour une vieille diva rendue chauve par la chimio. Pour ce faire, et bien faire, elle sacrifiera ses propres cheveux afin de les monter sur du tulle et livrer ce magnifique trophée à la harpie qui la dédaignera : “Quelle perruque de merde!” La coiffeuse n’aura plus qu’à enfermer la diva dans sa loge pour la forcer à porter perruque, et s’ensuivra un dialogue aussi grotesque qu’hilarant entre deux femmes que tout oppose. Ce sont ces moments où tout bascule, pétages de plomb ou autre, et où se révèle notre vraie nature jusque-là enfouie sous moult épaisseurs de convenances ou de mensonges (souvent à nous-mêmes), qu’aime saisir Berta Marsé (la fille de Juan Marsé, romancier établi) dans les sept nouvelles de son premier livre. Elle le fait avec finesse et humour, envoyant percuter ses personnages sur le mur de l’inattendu, d’un événement bizarre, d’une situation qui les dépasse.
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Dans La Tortue, un dessinateur en panne d’inspiration doit inventer une tortue pour une publicité. Il demandera à sa petite amie, institutrice, de faire plancher les enfants de sa classe. Quand elle lui rapportera les dessins de tortue, l’un d’eux le choquera : une tortue dessinée par une petite fille et ressemblant en fait à un phallus en érection. Comment une gamine aurait-elle vu ça ? Est-elle abusée par son père? Que faire : se taire ou enquêter? Dans Premier amour, le père d’un jeune adolescent malade et condamné va trouver la mère de la jeune fille dont son fils est secrètement amoureux. Celle-ci racontera cette entrevue à sa fille en lui demandant de ne pas approcher le garçon, sauf qu’excitée par l’ombre de la tragédie, la gamine désobéira à sa mère en tombant amoureuse et en accompagnant l’adolescent jusqu’à la fin.
Très belle nouvelle sur les poncifs qui peuvent générer du sublime, les faux-semblants qui peuvent se métamorphoser en vérité, qui génèrent de l’amour (chez la fille) vrai, et sur les situations que l’on provoque à notre insu et qui se retournent contre nous (pour la mère), Premier amour est un petit trésor d’ambiguïté. Au fond, ce que Berta Marsé ne cesse d’interroger c’est la façon dont chacun se comporte sur la scène du petit théâtre de la vie quand un accident de parcours advient.
L’écrivaine reste optimiste, puisque ces femmes et hommes qu’elle met en scène finissent souvent par se transcender, par faire preuve de plus de force que de faiblesse, soudain mus davantage par le désir de participer à l’événement plutôt qu’à s’y dérober. L’angoisse est pourtant toujours là, jamais loin, précipice où ils pourraient sombrer mais aussi moteur de l’action étrange et belle que chacun accomplira.
Comme le dessinateur un rien pathétique de La Tortue qui tiendra tête à son entourage qui lui conseille de laisser tomber, et sauvera une enfant d’un parent incestueux. Il faut toujours agir, nous dit Berta Marsé, quitte à tout perdre, comme la coiffeuse de La Diva et la Coiffeuse. Car agir aura au moins, dans son cas, l’avantage de la soulager.
Nelly Kaprièlian
En échec de Berta Marsé (Christian Bourgois), traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu, 200 p., 16 €
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