De Playboy au New York Times, c’est une héroïne du XIXe siècle qui s’impose aux USA comme la star de l’automne : madame Bovary. Pourquoi ? Réponse de Lydia Davis, responsable de la nouvelle traduction événement du roman.
Madame Bovary mérite t-elle vraiment d’être comparée à George W. Bush ou de « poser » dans Playboy ? Aux Etats-Unis, sa nouvelle traduction bombarde l’héroïne de Flaubert dans un monde étonnement moderne.
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En effet, après le nouveau roman de Jonathan Franzen, Freedom, c’est cette « nouvelle » Bovary qui agite le milieu médiatico-littéraire américain. Peut-être parce que « le thème est familier. La femme insatisfaite dans une vie ennuyeuse… Cela parle à tout le monde », constate l’écrivain Lydia Davis, auteur de C’est fini et de Kafka aux fourneaux, et à l’origine de cette nouvelle traduction, pour expliquer ce qui a pu conduire le magazine Playboy à publier un extrait de Madame Bovary, « roman le plus scandaleux de tous les temps », dans son numéro de septembre, accroche de couve à la clé.
Emma Bovary et George W. Bush, même combat !
Le New York Times en fait une » desperate housewife ». Le New York Observer ose un rapprochement psychologique entre Emma Bovary et George W. Bush : comme lui, « désespérée de ne pouvoir vivre ses illusions, elle se détache de la réalité pour se précipiter vers la destruction ». Un traitement auquel ne s’attendait pas sa traductrice.
Lydia Davis a peu d’amitié pour Emma Bovary. Quand les éditions Viking lui ont proposé de se coller à une nouvelle traduction du roman de Gustave Flaubert, elle a d’abord dit non.
Elle venait de terminer la traduction de Du côté de chez Swann, Proust l’avait épuisée. « Et je n’aimais pas le personnage d’Emma. J’aime les héroïnes qui pensent, qui ont du courage, les grands personnages généreux. » Pas les petites bourgeoises autocentrées.
Elle accepte pourtant quelques années plus tard – « la traduction me manquait ». Des traductions de Madame Bovary en anglais, Lydia Davis en avait onze sous la main dans sa maison du nord de l’Etat de New York.
Traduire Flaubert, un vrai challenge
Il y a les traducteurs qui injectent leur style. D’autres – les plus célèbres – qui font ce qu’ils veulent du texte, éliminent des fragments de phrases, en rajoutent.
Francis Steegmuller, auteur d’une traduction de 1957, s’est permis de glisser « Poor thing ! » (« la pauvre ! ») après la mort de la première épouse de Charles Bovary. Une audace qui stupéfie Lydia Davis, prête à tous les tourments pour préserver les phrases comme elles sont.
« La difficulté de Proust, c’est de construire ces longues phrases avec des subordonnées. Là c’est le contraire. Ce sont des phrases courtes, abruptes, difficiles à traduire. »
Ainsi, l’elliptique « Elle n’existait plus », qui constate la mort d’Emma. Lydia Davis ne trouvait rien de satisfaisant. Ni « She no longer existed », ni « She was no more », certainement pas « She had ceased to exist. »
Même embarras pour le décès de la première épouse de Charles Bovary. Davis bute sur « Elle était morte ! Quel étonnement ! » : « Je n’allais pas écrire ‘What a surprise !’ Traduire, c’est un jeu, un puzzle de mots, un problème à résoudre. »
Le retour de l’enterrement de madame Bovary lui a donné également du fil à retordre. « Le père Rouault, en revenant, se mit tranquillement à fumer une pipe ; ce que Homais, dans son for intérieur, jugea peu convenable », écrit Flaubert.
Lydia Davis se souvient de jours de frustration. « J’aimais beaucoup l’association de ‘for intérieur’ et de ‘jugea’. J’ai passé beaucoup de temps à trouver une expression qui emploie le mot ‘juger’ et l’image du for intérieur. »
Après trois années de travail, son regard sur madame Bovary s’est fait plus indulgent : « Quand elle meurt, je la trouve assez forte. Mais ce n’est pas elle que j’admire. C’est ce que Flaubert a fait. »
Guillemette Faure
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