Dans un essai léger et iconoclaste, « La barbe ne fait pas le philosophe, abécédaire philosophique du superficiel », Sophie Chassat traque les motifs du superflu pour en faire des objets de pensée en soi. Un éloge de la légèreté et de la surface.
Chacun sait bien, à force de l’entendre et de le constater par soi-même, que “l’habit ne fait pas le moine”. Pour Sophie Chassat, auteur d’un drôle d’essai La barbe ne fait pas le philosophe, abécédaire philosophique du superficiel, cette expression proverbiale peut se déplacer vers le champ de sa discipline et s’appliquer aux textes philosophique eux-mêmes. “La barbe ne fait pas le philosophe” parce que précisément la philosophie se ne déploie pas toujours là où on l’attend : elle vibre ailleurs que dans le périmètre de sa souveraineté consacrée, sa caverne imaginaire.
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Philosopher ne consiste pas forcément à gratter sa barbe – ce fétiche absolu que la pensée occidentale associe à la figure du philosophe – d’un air pénétré et austère. Comme l’écrivait déjà Plutarque dans son Traité d’Isis et d’Osiris, “ce qui fait les philosophes, ce n’est ni l’habitude d’entretenir une longue barbe, ni le manteau”.
La philosophie n’a pas à penser que les catégories universelles Vérité, Amour, Sagesse, Beauté, Amitié, ou d’autres concepts “gros comme des dents creuses”, selon l’expression de Gilles Deleuze : beaucoup de philosophes s’attachent aujourd’hui à ce front du refus des objets “lourds” et académiques en s’ouvrant à des horizons plus ténus et plus “pop”. Pour Sophie Chassat, cette effronterie “light” et “cosmétique” va jusqu’à prendre au sérieux, en tant que philosophe, des sujets dits “superficiels”. Mieux, c’est le light et le cosmétique qui produisent en eux-mêmes un discours philosophique.
D’un bâton de rouge à lèvre à des talons aiguilles, d’une ceinture à une étoffe, du maquillage à un mouchoir de poche, mais aussi de sujets de réflexion plus généraux comme le frivole, le futile, les mondanités, la surface, l’écume, le blabla, la démarche…, elle s’amuse à capter à travers des textes courts le sens de plaisirs inutiles et parfaits. Dans ses fragments d’un discours amoureux de la légèreté, issus de son blog Sois brillante (et pas qu’avec ton gloss), mais aussi de sa chronique sur Le Monde.fr, l’auteur fait le pari que ses obsessions aux apparences anodines peuvent « donner naissance à d’étonnants philosophèmes », c’est-à-dire à des propositions cohérentes et réfléchies. Les « Réfléchir gaiement sur des petits riens, des choses d’habitude méprisées et jetées au rebut du sens » : Sophie Chassat s’en tient à ce programme, vivifiant et stimulant.
De A, comme allure et anodin, à Z, comme zeste. Cet éloge paradoxal du superficiel repose sur une croyance inscrite en réalité au cœur même de l’histoire de la philosophie, depuis les Grecs anciens, dont Nietzsche disait qu’ils étaient « superficiels, par profondeur ». C’est précisément cette « profondeur du superficiel » qui agite Sophie Chassat, errant à travers les catégories d’un genre mineur avec un ton entremêlant stratégiquement légèreté et gravité. Ses mots s’entrechoquent avec élégance et entrain. De part en part, de mot en mot, elle fait sienne cette pensée de Paul Valéry : « Il n’y a que les choses superficielles qui puissent ne pas être insignifiantes. Ce qui est profond n’a point de sens ni de conséquences. La vie n’exige aucune profondeur. Au contraire ».
L’auteur défend l’idée d’un bricolage philosophique, qui excède toujours la simple rationalité. La forme du fragment conféré par le dispositif de l’abécédaire ne permet pas d’établir une thèse générale et close sur elle-même. Par son éclatement et sa dissémination, le livre se contente d’une esquisse d’une théorie de la pratique superficielle : le monde des « superfluités nécessaires » (Balzac) mérite d’y prêter attention. L’auteur invite à revaloriser la surface des choses et des êtres, car c’est à même cette surface que se révèle la profondeur d’une connaissance. Une revalorisation de la surface que la philosophie devrait, selon l’auteur, « s’employer à davantage peau-finer »
La barbe ne fait pas le philosophe, abécédaire philosophique du superficiel, Sophie Chassat (Plon)
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