Pionnier du “dérapage verbal contrôlé” devenu routinier chez Zemmour ou certains politiques, l’écrivain persiste et signe.
L’affaire Renaud Camus a dix ans. S’il est encore intéressant d’en parler, c’est qu’elle a annoncé le climat délétère du moment, les propos racistes et les dérapages verbaux des politiques et autres personnalités publiques aujourd’hui.
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Dans un des volumes de son journal, publié alors chez Fayard car P.O.L, son éditeur habituel, n’en avait pas voulu, Camus s’en prenait – entre autres – à une émission de France Culture où la plupart des intervenants (et de les lister !) étaient juifs, donc pas des Français de souche, donc pas à même de parler de la culture française. Ah, et on oubliait : les étrangers feraient meilleur genre dans leur pays au lieu de venir faire tache en France.
Par ailleurs, Camus avait un hobby : arpenter la nature autour de son château en marmonnant pour la défense de l’imparfait du subjonctif et la pureté de la langue française (c’est tout dire).
Comme il avait écrit Tricks – publié à la fin des années 70 puis révisé et réédité dans les années 80 –, recension de ses histoires de cul avec nombre d’hommes, d’une liberté de ton novatrice, Camus ne pouvait pas être antisémite. Ce qu’écrivit le critique littéraire à propos de ce volume de son journal sur plusieurs pages dans Libération.
C’était l’indignation provoquée par le livre et cet article complaisant qui nous avait poussés, aux Inrocks, à réagir et à pointer l’antisémitisme de Camus. Tollé général. Le petit monde des lettres enfin tiré de sa torpeur se divisait en deux : les contre et les pour (Camus).
L’argument des pro-Camus (parmi lesquels des écrivains très respectables) était d’affirmer qu’il n’était pas antisémite. Mais alors, si l’antisémitisme n’était pas une affaire de langage, de listage des Juifs, alors de quoi s’agissait-il ? D’une déformation de l’ADN ?
C’est ce type de discours et cette complaisance généralisée qui ont permis, dix ans après, les propos d’un Eric Zemmour ou des politiques racistes. La doxa les salue comme politiquement incorrects sans voir ce que cette notion a de relatif : à un congrès du Front national, Zemmour serait très politiquement correct.
Pas un hasard si Renaud Camus prenait récemment sa défense sur son site, comme le relevait très justement Sylvain Bourmeau sur Mediapart. Dix ans après l’affaire, Camus tombe davantage le masque en s’en prenant à “cette sinistre novlangue qui pour ne pas blesser la sensibilité à fleur de peau des antiracistes organiques nomme la société arabo-noire “les milieux populaires”, les territoires africano-musulmans “les cités” (…)”. N’est-ce pas suffisamment clair ?
Nelly Kaprièlian
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