Résistant, penseur, humaniste, figure intellectuelle passionnante du siècle, Edgar Morin est plus d’actualité que jamais.
“Qui suis-je ? écrit Edgar Morin au début de ses mémoires, Leçons d’un siècle de vie. Je réponds : je suis un être humain. C’est mon substantif. Mais j’ai plusieurs adjectifs, d’importance variable selon les circonstances ; je suis français, d’origine juive sépharade, partiellement italien et espagnol, amplement méditerranéen, européen culturel, citoyen du monde, enfant de la Terre-Patrie.” On pourrait ajouter qu’il est l’un des esprits les plus libres, les plus honnêtes, les plus admirables du 20e siècle, un héros de la résistance et un penseur célébré dans le monde entier. Plus qu’un modèle (le mot ne lui plairait sans doute pas), une sorte de phare dont la lumineuse perspicacité éclaire notre époque inquiétante, effarante, marquée par les crispations identitaires et le repli sur soi.
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“Vivre et non survivre”
“L’identité est une et multiple”, souligne Morin dans le livre précédemment cité. “Le refus d’une identité monolithique ou réductrice, la conscience de l’unité/multiplicité de l’identité sont des nécessités d’hygiène mentale pour améliorer les relations humaines.” Lui fut d’ailleurs toujours un Autre comme disait Rimbaud, ou même des Autres, qui dut changer de nom deux fois, prendre le patronyme de Poncet, plus français que Nahoum, pour échapper à la Gestapo, puis s’inventer celui de Morin, qu’il garde en rentrant dans la Résistance. Partisan des métamorphoses, chantre des vies multiples, intenses, au risque de s’égarer pour mieux se retrouver, Edgar Morin est au fond l’héritier d’Héraclite. Il considère l’existence comme un vaste laboratoire d’expériences.
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“Vivre et non survivre”, aime-t-il dire, pour dénoncer l’exploitation de l’humain par l’humain, aujourd’hui comme hier. Quitte à partir dès la Libération dans l’Allemagne dévastée et hagarde de 1945-1946, à laquelle il consacre son premier livre (L’An zéro de l’Allemagne). Ou à s’attaquer ensuite à ce tabou qu’est la mort, sa place dans nos existences (L’Homme et la mort, 1951) en croisant sociologie, philosophie, histoire, psychologie : démarche intersectionnelle avant l’heure, dans un contexte bien différent de celui d’aujourd’hui, sa méthode comme il l’a appelée, qui irrite à l’époque les défenseurs des chapelles académiques, mais fait école aux quatre coins du monde.
Un autre livre paraîtra début septembre 2021 pour ce centenaire, ouvrage collectif facétieux mettant au cœur de notre actualité un des concepts phares de Morin : la Terre-patrie. Publié initialement en 1993, ce texte majeur du penseur est revisité à l’aune d’un futur imaginaire, le milieu du 21ème siècle, afin de mieux comprendre, rétrospectivement, comment ce concept explique ce à quoi la Terre et les terrestres font face. Un livre qui dessine un futur désirable et rappelle la dimension proprement visionnaire d’Edgar Morin.
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Leçons d’un siècle de vie d’Edgar Morin (Denoël), 147 pages, 17 €.
L’avenir de Terre-patrie, Cheminer avec Edgar Morin, sous la direction d’Alfredo Pena-Vega (Actes Sud). A paraître en septembre 2021.
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