Star oubliée et inventrice géniale, Hedy Lamarr eut une vie flamboyante. Sur fond de frasques sexuelles, le récit de son existence est une plongée dans le Hollywood décadent des années 1930-50.
Première actrice à tourner nue (dans “Extase” en 1933), inventrice pendant la guerre d’un système de transmission radio sans lequel la création de nos téléphones portables aurait été impossible, lancée par Louis B. Mayer (MGM) comme “la plus belle femme du monde”, Hedy Lamarr a eu le destin glamour et tragique de toute icône de l’âge d’or hollywoodien qui se respecte. Vie privée chaotique, fortune gagnée et dilapidée, six mariages et autant de divorces, gloire clinquante et glissement dans l’oubli – elle meurt en 2000, à 85 ans, dans une quasi-indifférence.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Ecrits en 1966, ses mémoires, Ecstasy and Me, paraissent enfin en France, et c’est un chef-d’œuvre de dévoilement et de dissimulation, comme Hollywood savait si bien le faire avec le sexe au temps où la censure régnait. Il faut dire que si l’édition française est sous-titrée “La Folle Autobiographie d’Hedy Lamarr”, la version originale est plus explicite : My Life As a Woman.
Peu après, Hedy Lamarr condamnait cette “autobiographie”
Bref, vous saurez tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la sexualité de ces déesses du grand écran – du moins, sur ce que celle-ci a décidé de divulguer. Certains noms d’hommes seront changés, certains acteurs (dont Clark Gable) passent pour n’avoir été que de gentils amis et des hommes serviables qui lui obtinrent des rôles juste parce qu’elle était géniale. Et si elle parle de sa bisexualité dès le début du livre, aucune de ses liaisons féminines n’y apparaîtra.
Peut-être est-ce parce que, même si la version française ne prend hélas pas soin de l’indiquer, cette “autobiographie” fut corédigée par deux nègres, Léo Guild et Cy Rice. Peu après, Hedy Lamarr la condamnait en la traitant de “fictionnelle, fausse, vulgaire, scandaleuse, diffamatoire et obscène”. Ce qui fait beaucoup.
N’empêche, le texte est génial dès qu’elle parle de sexe, et ce dès le début : “Au cours de ma vie, le sexe n’a pas toujours constitué une partie de plaisir. J’ai connu différents genres d’hommes, de l’impuissant classique jusqu’au sadique adepte du fouet qui ne peut prendre du plaisir qu’après vous avoir attachée les mains dans le dos avec la ceinture de sa robe de chambre.”
“Mes pulsions sexuelles devenaient incontrôlables”, écrit-elle
Dans le Vanity Fair américain, un article racontait les frasques sexuelles de Marlene Dietrich. Quand sa fille lui demandait pourquoi elle avait couché avec tous ces hommes, Marlene aurait répondu : “Because they’ve asked.”
Il semblerait que si l’on avait posé cette question à Lamarr, celle-ci aurait répondu : “Parce que j’en avais besoin”. C’est page 301, alors qu’elle entame une psychanalyse, que Lamarr avoue qu’elle se découvrira, au cours du processus analytique, être “nymphomane”. Mais est-ce la vérité ? N’est-ce pas encore un mot pour faire honte à une femme d’aimer faire l’amour ? “Mes pulsions sexuelles devenaient incontrôlables”, raconte l’actrice.
Née le 9 novembre 1914 à Vienne, d’un père banquier et d’une mère pianiste, la petite Hedwig Eva Maria Kiesler apprend ce qu’est le sexe un peu trop tôt : elle aurait été violée par un homme, aurait été sur le point de l’être par un autre, etc. En 1933, elle court nue dans les bois et est filmée en gros plan en train d’avoir un orgasme dans Extase, film qui scandalisera, sera interdit aux Etats-Unis mais la rendra sulfureusement célèbre.
Elle est alors mariée à un riche fabricant de munitions qui fraie avec Hitler et Mussolini, et la tient prisonnière dans une cage dorée. Elle lui échappe un jour en se réfugiant dans un peep-show (où un client la prend pour une prostituée – elle se laissera faire et s’en amuse), et fuira définitivement déguisée en bonne.
Tout ce qu’elle révèle sur le milieu du cinéma a valeur de document
A Paris, elle rencontre Louis B. Mayer avec qui un bras de fer amical, malicieux, commencera autour de l’argent, et durera des années. Ses rendez-vous avec le boss de la MGM sont hilarants, et tout ce qui concerne le milieu du cinéma a valeur de document sur la façon dont les films se faisaient ou se défaisaient.
Avec Ecstasy, on réalise que même une star telle qu’Hedy Lamarr, sous contrat avec un immense studio, devait souvent intriguer pour obtenir les meilleurs rôles dans les meilleurs films – ou juste pouvoir tourner. Pourtant, ni chef-d’œuvre, ni classique ne figurent dans sa filmo, même si elle a travaillé avec Cecil B. deMille, King Vidor, Jacques Tourneur, Jack Conway, Victor Fleming, etc.
Des soirées dans la propriété du libertin Errol Flynn
“Je ne sais pas pourquoi, mais mon jugement a toujours été plus pertinent quand il s’agissait de personnes que de scénarios”, écrit celle qui a refusé de faire le magnétique Laura d’Otto Preminger ou le gothique Hantise de George Cukor.
Ecstasy and Me est une folle plongée dans le Hollywood des années 1930 à 1950, où sexe et travail semblaient inextricablement liés – souvent pour le pire. Une plongée décadente dans une microsociété malade où les corps sont aussi monnayables que les âmes : des soirées dans la propriété du libertin Errol Flynn, sur Mulholland Drive, où les jeux consistaient à prendre en chasse une fille déguisée en lapin (d’après Hedy,
il paraît que Marilyn Monroe s’y prêta), à une Hedy Lamarr attachée nue à son lit qui est violée sous les yeux excités de son amant, ces mémoires hors normes, vrais ou faux, sont aussi fascinants (et dérangeants) que le Hollywood Babylone de Kenneth Anger. Nelly Kaprièlian
Ecstasy and Me – La folle autobiographie d’Hedy Lamarr (Séguier), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Charles Villalon, 440 p., 22 €
{"type":"Banniere-Basse"}