L’écrivain, éditeur, barebacker, penseur et provocateur vu par un jeune journaliste.
En 1996, quand Guillaume Dustan fait paraître son premier roman Dans ma chambre (P.O.L), Raffaël Enault a 6 ans. C’est un peu tôt pour se plonger dans le récit cul et cru de l’auteur phénomène. Plus tard, le jeune biographe n’a pas découvert Dustan par sa prose, mais par ses poses. Sur YouTube, dans une vidéo de l’émission Tout le monde en parle. “Perruque verte au carré sur la tête (…) une baguette magique dans la main droite.”
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Dustan joue son sketch d’“agitateur gay numéro 1”. Parle du bareback et balance qu’on ne meurt pas du sida. Soudain pourtant, au milieu de son cirque provoc, Dustan évoque l’effacement du genre, la fluidité des identités. Comme une lucarne entrouverte sur une réflexion plus théorique, avant-gardiste et libertaire. Mais il est vite coupé par Ardisson.
Dommage. Raffaël Enault le concède : il s’est “senti coupable de ne pas l’avoir connu, cet écrivain aussi culte que méconnu”. Alors, il achète et lit tous ses livres. Réalise qu’il n’y a aucune biographie de ce probable “dernier écrivain maudit”. A cœur vaillant… Enault décide de s’y coller.
Un jeune bourgeois bien peigné
William Baranès, alias Guillaume Dustan est mort le 3 octobre 2005. Sur sa tombe, il y a gravé “J’ai toujours été pour tout être”. Dustan est mort malheureux, mais au moins n’aura-t-il pas failli à sa vocation. Il fut tout, son contraire, et plus encore : magistrat, romancier, éditeur, théoricien, pygmalion, clown cathodique, superstar médiatique, poète maudit, jeune premier, hétéro, homo, bi, SM, soumis, porno, pervers, mégalo, sensible, séropo, dépressif, exalté, agitateur, ignoré, encensé, blacklisté, sentimental, partouzard, génial, nul à chier, révolutionnaire…Mais pour commencer, il fut un jeune bourgeois. Bien peigné. Bien français. Car l’histoire dont s’empare son jeune biographe épouse subtilement celle de la France d’après-guerre : relater la vie de Dustan, c’est prendre en compte les traumas de la Shoah, l’embourgeoisement des Trente Glorieuses, la débandade des années 1980, l’hystérie extasiée et morbide des années sida.
William Baranès naît à Paris le 28 novembre 1965. Fils d’un psychiatre séfarade et d’une architecte d’intérieur ashkénaze, l’enfant est surdoué. Dans la république de Pompidou puis celle de Giscard, sa voie – royale – est toute tracée : bac avec mention, deux prix au concours général, hypokhâgne à Henri-IV, Sciences-Po, l’ENA, la haute magistrature.
Exilé à Tahiti pour écrire son premier roman
Ça ronronne dans la première partie de la vie de William. Dans la biographie de Raffaël Enault aussi. Le texte a des airs de Wikipédia fouillé. On s’emmerde un peu. Comme William, en fait. Deux chocs bousculent cette mélodie du bonheur bourgeois : William perd sa meilleure amie, assassinée par un père fou. Puis, en janvier 1990, il apprend qu’il est séropositif. Statistiquement, il en a pour cinq ans.
Guillaume Dustan naît en juillet 1994. Référence à Dunstan de Cantorbéry, ecclésiastique et maréchal-ferrant du Ie siècle qui a soumis le diable. Las de sa double vie – juge le jour, aventurier des backrooms la nuit –, William/Guillaume s’exile à Tahiti. C’est là qu’il rédige Dans ma chambre.
Sans concession, froid et pornographique, il narre le Paris gay, les nuits de baise, le sida et le sexe sans capote
Le roman sort en août 1996. Sans concession, froid et pornographique, il narre le Paris gay, les nuits de baise, le sida et le sexe sans capote. C’est inédit. On commence à parler de ce romancier barebacker qui assume tout : la maladie, la drogue, le sexe, la condamnation à mort. La légende est en marche.
Liberté, techno, mort et désir
La seconde partie de la biographie de Raffaël Enault s’électrise. Elle suit la folle trajectoire de la comète Dustan. Mais au-delà du commentaire littéraire et du décryptage médiatique, Enault s’applique, plutôt bien, à faire émerger la pensée de l’écrivain culte, son avant-gardisme théorique.
Car derrière la provoc et les scandales, Dustan lie dans son œuvre, comme personne avant lui, liberté, techno, mort et désir. Avec Le Rayon, la collection qu’il crée en 1999 aux éditions Balland, la première consacrée aux écrits LGBT en France, il entend exploser les genres et exposer les marges. Donner enfin la résonance qu’il mérite au mouvement queer.
Sur les plateaux, politique, il prône la responsabilité individuelle, dénonce l’instrumentalisation de la maladie pour stigmatiser les populations à risque, défend l’homoparentalité et revendique l’effacement des genres. Déjà. On est à la fin du XXe siècle, au tout début du suivant.
Que reste-t-il de Guillaume Dustan ?, s’interroge son biographe. “Quelques livres, quelques scandales, quelques concepts.” Aujourd’hui, conclut-il, “quelques personnes l’aiment toujours”. Ouf !
Dustan Superstar (Robert Laffont), 324 p., 21 €
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