Un gratte-ciel entouré de toboggans, un train fantôme dans un musée, une maison en forme de botte : l’exposition Dreamlands au Centre Pompidou montre comment l’art a fait du parc d’attractions l’un de ses motifs privilégiés. Cette architecture où le réel s’estompe au profit du ludique déteint aussi sur nos villes.
CONSTRUCTION
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Les musées eux-mêmes sont aujourd’hui les véritables bêtes de foire du paysage urbain, à l’image du tout nouveau Centre Pompidou de Metz ou du fameux Guggenheim de Bilbao, construit par l’Américain Frank Gehry, qui a changé à lui tout seul l’économie de cette région postindustrielle de l’Espagne. Sans oublier la ville-mirage de Dubaï, les sons et lumières proposés par les gratte-ciel futuristes de Shanghai ou Tokyo, tandis que Rome et Paris cultivent leur carte postale de ville éternelle ou de ville-musée à destination des touristes du monde entier : à ce régime, c’est la ville entière qui devient une sorte d’annexe ou d’excroissance de Disneyland. Attraction universelle.
Tout le monde a désormais droit à son parc : Michael Jackson avec Neverland, Elvis avec Graceland, jusqu’aux chrétiens créationnistes, opposés aux conceptions darwiniennes de l’évolution et qui multiplient les Jurassic et autres Noah’s Park où ils professent leur idéologie extrémiste, où Adam et Eve côtoient les dinosaures, où les Dix Commandements s’étalent sur une colline entière.
A l’inverse, la ville de New York finit de construire sur Governor Island, en face de la statue de la Liberté, un gigantesque eco-parc où les merveilles d’une nature artificielle représentent les seules attractions.
ÉVOLUTION
Extension du domaine de Dreamlands : l’exposition du Centre Pompidou retrace un épisode bien connu des spécialistes d’art ou d’architecture : comment les expositions universelles de la fin du XIXe siècle et les parcs d’attractions ont profondément influencé l’évolution de la ville moderne. La preuve avec cet étonnant film publicitaire des années 1950 où le créateur de Mickey, monsieur Walt Disney en personne, nous vante, face caméra et à la manière d’un architecte ou d’un promoteur immobilier, sa cité de demain, Epcot, modèle du futur Disney World.
On peut également citer l’étonnant manifeste New York Délire, publié en 1978 par l’architecte Rem Koolhaas, qui voit le Luna Park établi à Coney Island en 1903 comme le laboratoire de Manhattan, l’embryon fantasmatique de New York.
Sur un registre encore plus polémique, en 1972, l’architecte Robert Venturi et son épouse Denise Scott Brown produisirent une analyse éclatante de Las Vegas : oasis de débauche construite au coeur du désert américain, qui reproduit en miniature toutes les villes du monde, où les styles de toutes les époques se mélangent dans un kitsch maximal, Las Vegas est à leurs yeux l’emblème du postmodernisme et le véritable modèle d’un urbanisme pleinement voué à l’automobile, à la distraction et au loisir. Et un exemple d’architecture exubérante, populaire et multicolore à suivre pour lutter contre la grise uniformité des immeubles modernes :
“Disney World est plus proche de ce que les gens veulent vraiment que de ce que les architectes ont pu leur donner.”
CONTESTATION
Parallèlement à cette fascination montante, quelques artistes ou penseurs ont critiqué cette dérive spectaculaire, cette victoire du faux et du kitsch sur la réalité vraie du monde. Ainsi le philosophe français Louis Marin décrivait-il en 1973 le monde merveilleux de Disney comme “une utopie dégénérée”, tandis que Michel Foucault opposait en tous points le parc d’attractions au musée.
“Dans une ville infantile, comment la ville ludique, avatar du Pays des jouets, ne triompherait-elle pas de la ville réelle ?”
, s’interroge Sophie Basch dans le catalogue de l’exposition Dreamlands.
On pourrait encore citer La Foire aux atrocités, roman de l’écrivain J.G. Ballard qui imagine une expo montrant ensemble accidents de voitures, icônes pop décédées, films de guerre et autres vidéos de meurtre présidentiel :
“Cette exposition annuelle offrait une caractéristique assez inquiétante : l’omniprésence des thèmes du cataclysme mondial.”
Tout récemment, le philosophe Bruce Bégout a publié Le ParK, son premier roman. Construit par un milliardaire russe sur une île isolée, le ParK rassemble en un seul espace toutes les formes possibles de parc : une réserve animale et une fête foraine, un camp de concentration, un cantonnement de réfugiés, un cimetière et une aire de jeux pour enfants, un jardin zoologique et une maison de retraite.
Plus qu’un roman, c’est un conte philosophique, métaphore d’un monde devenu parc d’attractions. Paranoid Park : pour le bonheur, et pour le pire.
DÉSOLATION
Reste enfin une mélancolie du parc. Nombre d’artistes, de cinéastes, de photographes, ont arpenté les parcs en ruines. Ces luna park désertés ont pris le relais des parcs de ruines du XVIIIe et du XIXe siècle romantique. Au sud est de Berlin, non loin du cimetière soviétique de Treptow, on peut visiter le Spreepark, construit en 1969 et laissé à l’abandon depuis 2001. Une grande roue désaffectée, des manèges gagnés par la végétation, des bâtiments désertés, des caisses éventrées : la nature a repris le dessus dans une ambiance postatomique, post-Tchernobyl.
L’an dernier, dans le centre-ville de Toulouse, l’artiste Amy O’Neill a placé dans la cour de la Drac une sculpture publique, vieille maisonnette en forme de botte, réplique d’une attraction installée dans un amusement park oublié de Pennsylvanie, The Storybook Forest, adapté d’un conte pour enfants. Esseulé, moisi, cet objet autrefois magique garde quelque chose de la fascination qu’il a pu inspirer à ses jeunes visiteurs. Mais il met aussi en scène un tout autre récit d’anticipation que le kitsch merveilleux de Disneyland : la ruine du divertissement et de la société du spectacle.
Dreamlands – Des parcs d’attractions aux cités du futur Jusqu’au 9 août au Centre Pompidou, Paris IVe ///www.centrepompidou.fr
Rem Koolhaas, New York délire : Un manifeste rétroactif pour Manhattan, 1978, réédité aux Editions Parenthèses
Pierre Huyghe, Celebration Park, catalogue d’exposition, musée d’Art moderne de la Ville de Paris/ARC, 2006
Dreamlands, catalogue d’exposition, Centre Pompidou, 2010
Bruce Bégout, Le ParK, Editions Allia, 2010
J.G. Ballard, La Foire aux atrocités, 1969, Editions Tristram
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