L’Irlandais Mike McCormack livre un récit poignant entraîné par le courant de conscience d’un homme qui, une heure durant, se remémore toute sa vie.
Et si, à défaut de pouvoir mettre de l’ordre dans le chaos du monde, la littérature avait pour fonction première de rendre compte des efforts déployés en ce sens ? Des efforts aussi vains qu’héroïques, dont l’admirable inanité appelle le ton de l’épopée. Illustration avec un roman d’une ambition et d’une maîtrise rares.
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Dans son troisième roman, D’os et de lumière, l’Irlandais Mike McCormack débusque au sein du quotidien enjeux métaphysiques, dimension tragique et prétextes à intermèdes comiques – et a pour ce faire recours à une version somptueuse autant que survoltée du stream of consciousness autrefois cher à Virginia Woolf. Sur plus de trois cent pages, une phrase unique, d’où a été exclu tout signe de ponctuation, à l’exception de la virgule et d’une poignée de tirets.
De ce bannissement des points se dégage une évidence : face à l’entrelacs de souvenirs, d’obsessions, d’intuitions et “de songeries grotesques, qui passent trop facilement pour des pensées” qu’est susceptible de charrier la conscience d’un homme, croire que les processus mentaux ont vocation à déboucher sur une conclusion définitive serait pure vanité.
Des fantômes plein la tête
Epoux, père de famille et architecte, le narrateur Marcus Conway voit sa foi dans les équerres et les compas mise à rude épreuve ; loin de se conformer aux lois de la géométrie ou de la raison, sa terre natale – une Irlande de l’Ouest où des garçons biberonnés aux westerns deviennent en vieillissant des fans de complaintes country – est baignée d’une lumière “saturée de goules et de fantômes”.
Des fantômes, Marcus en a plein la tête – ceux de ses parents disparus, celui de la “stabilité boulonnée” de ses années de catéchisme, celui de l’homme qu’il aurait aimé être, avant qu’une succession de renoncements et trahisons ne l’amène à vivre sur le mode du regret, du remords, et des fantasmes de rachat.
D’où l’éloquence désespérée de son soliloque, à la fois plaidoyer pro domo, chronique tragi-comique et ode à la beauté d’un monde dont le twist final révèle qu’il est à jamais coupé ; en un vertigineux numéro de voltige, McCormack prend le pouls d’un pays de tempêtes et signe un poignant requiem pour une conscience intranquille.
D’os et de lumière (Grasset), traduit de l’anglais (Irlande) par Nicolas Richard, 352 p., 20 €
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