Des dieux méchamment allumés débarquent dans le nouveau roman de l’Américain Mark Leyner, version « festival de la couille ».
Le scrotum est ce sac de peau qui, chez la plupart des mammifères terrestres mâles, est situé entre le pénis et l’anus. On l’appelle communément les bourses. On le retrouve dans le titre du nouveau Mark Leyner. Divin scrotum présente tout ce qu’on aime chez l’auteur américain : cet humour si particulier – loufoque, potache et pataphysique –, cette gouaille inimitable, et puis cette façon de dynamiter la langue, de tout se permettre. L’ouverture du roman, réécriture barrée de la Genèse, est à couper le souffle :
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“Tout était incohérent… Des événements isolés et disjoints survenaient, aussitôt engloutis dans un vide noir et opaque, leur importance annulée par les éternités de silence entropique. Une serre contenant trois minuscules adolescentes débitant à tue-tête des âneries (avec des T-shirts proclamant ‘Je ne baise pas avec les Blancs’) se matérialisait inexplicablement, puis, de façon tout aussi inexplicable, disparaissait.”
C’est dans ce gigantesque bordel que les Dieux débarquent, “ivres, ils avaient été acheminés en bus en un lieu qu’ils ne reconnurent pas” : El Brazo, short et baskets, le dieu de l’urologie ; la géante C46, déesse de la peau claire ou encore El Budbuja, le dieu des sacs à main Dior Diamond Forever. Vaniteux comme des stars de téléréalité, ces dieux un peu débiles voient leur univers au prisme du glamour et du “cool” des magazines de mode. Ils affirment parfois des choses bizarres, qui deviennent aussitôt réelles (forcément). “Vous connaissez la dernière phrase de Van Gogh quand il se suicida à Auvers-sur-Oise ? ‘Va te faire foutre, Kirk Douglas !” Des “célébrités” improbables se côtoient (Alan Greenspan, Laura Dern, V. S. Naipaul), leurs noms soulignés en gras comme dans les tabloïds. Tout ce petit monde est souvent “complètement déchiré” et se met dessus avec violence. Au milieu arrive le héros, Ike Karton, simple mortel et boucher au chômage !
L’écriture hystérise la langue pour mieux la réinventer
Poème démiurgique un peu salace, récit mythologique et épopée burlesque, Divin scrotum pourrait bien décourager ceux qui aiment la “ligne claire” d’une narration sobre et efficace. Il faut se laisser bercer par le rythme, ces phrases répétées comme autant de mantras ou de psaumes ; et séduire par cet art du loufoque à l’humour raffiné ou gras, selon les humeurs (Ike a ce côté beauf à la Pascal Brutal, il imagine “des déesses folles de lui qui se masturbent en l’observant”).
Si Leyner évite l’écueil de l’exercice de style, son écriture n’en est pas moins éblouissante. Elle hystérise la langue pour mieux la réinventer. Avec ce Divin scrotum, il repousse une fois de plus les limites du littérairement correct.
Divin scrotum (Le Cherche Midi), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claro, 242 pages, 19 €
Bio express
Mark Leyner est né en 1956 et vit à New York. “Champion du monde de la satire”, comme le qualifia le New York Times, il fait, dans la littérature américaine contemporaine, figure d’excentrique et d’hurluberlu. L’écrivain s’est fait connaître avec Et Tu, Babe (1992) et surtout The Tetherballs of Bougainville (1998), l’histoire délirante et hilarante de son propre père, condamné à mort qui survécut à une injection mortelle puis, libéré, fut condamné à vivre dans la crainte d’une nouvelle exécution. On le compare parfois au regretté David Foster Wallace pour son style, mélange d’absurdité frisant la folie, de métafiction et de poésie en prose.
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