La machine à rêves, passée au crible de son indémodable machisme dans deux récits autobiographiques, l’un de Diane Keaton, l’autre d’Eleanor Coppola.
Quelle est la durée de vie d’une actrice féministe dans l’industrie du cinéma ? A quoi ressemble le quotidien d’une épouse de grand cinéaste ? Le champ d’investigation semble vague, on fait le pari qu’il ne l’est pas.
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La parution de deux récits autobiographiques laisse même entrevoir une jolie osmose entre deux voix féminines, imbriquées chacune à sa manière dans l’usine à rêves et confrontées à son indéfectible machisme.
Paru il y a peu, la Confession inachevée de Marilyn Monroe ouvrait les festivités. Elle y décrit Hollywood en terrain de chasse pour prédateurs sexuels : « Les drugstores et les petits bistrots regorgeaient d’imprésarios prêts à vous lancer si vous vous enrôliez sous leur bannière. Leur bannière était en général un drap de lit. » Cette Marilyn musclée, capable de phrases écornant son ingénuité légendaire, trouve un écho dans la confession, presque soixante ans plus tard, de Diane Keaton, révélée par Annie Hall.
Dans un journal qui alterne hymne à la famille, émois professionnels et amoureux, celle qui ne parvient pas à casser son image d’ex de Woody Allen bute sur un triste constat :
« Sans grand homme pour écrire et réaliser pour moi, j’étais au mieux une médiocre vedette de cinéma. »
Sa lose des années 80 à Hollywood, elle l’attribue en partie à cette difficulté à s’émanciper du mâle dominant auquel elle doit tout, revêtant ici les traits du génie créateur.
Keaton est confrontée à la frilosité sexiste des studios. On lui propose de lancer « une ligne de vêtements Annie Hall », elle cherche à produire un film : « l’histoire de l’une des rares réalisatrices hollywoodiennes bancales et de son meilleur ami ». Pas assez vendeur. On lit comme symptôme d’une frustration certaine ce que détaille un large pan de ce journal : les amours de Keaton, avec Pacino puis le grand séducteur du moment, Warren Beatty. Problème : «
Je ne voulais pas aimer Warren Beatty, je voulais être lui. »
Pendant le tournage des Parrain, Diane Keaton, qui interprète la femme d’Al Pacino, croise l’épouse de Coppola : la discrète Eleanor, auteur d’un journal tenu lors du tournage d’Apocalypse Now, enfin traduit en français. Sa part la plus passionnante n’est pas la plus attendue : les contretemps de ce tournage homérique croulent sous le poids d’un mal-être que l’auteur peine à refouler :
« J’étais là, épouse privilégiée du réalisateur, en train de parcourir le monde avec une production de cinéma, assise en larmes dans sa suite climatisée telle une femme entre deux âges, misérable, complaisante, névrosée et incapable de se prendre en charge. »
Tandis que le couple Coppola frôle l’explosion suite à une dépression nerveuse doublée d’une infidélité, Eleanor interroge ce statut de femme mariée à « un homme qui a de plus en plus de succès et de pouvoir » et la souffrance de se sentir enfermée dans un rôle de « femme utilitaire ». A sa sortie en 1979, son Journal fera l’objet d’une forte réprobation, à la fois parmi les proches du couple et chez le public : « On disait à mon mari : comment as-tu pu laisser ta femme écrire ça ? »
Après la revanche d’une blonde, brune et rousse unissent leurs forces au hasard des parutions. Eleanor Coppola comme Diane Keaton ne se font pas les porte-parole d’un féminisme brut ; elles se contentent de raconter leur histoire personnelle, porteuse d’une blessure liée à leur sexe. Elles esquissent, ce faisant, les contours d’un féminin sans noeud dans les cheveux et sans couilles pour autant : un féminin avide d’ombre ou de lumière, avec ses propres règles à inventer.
Emily Barnett
Une fois encore de Diane Keaton (Robert Laffont), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Dominique Haas, 258 pages 21 euros; Apocalypse Now, journal d’Eleanor Coppola, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Philippe Aronson (Sonatine), 272 pages, 18 euros.
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