Echos, emprunts, citations. Particulièrement en cette rentrée, les romanciers s’inspirent d’autres écrivains. Hommage ou signe d’un essoufflement créatif généralisé ?
Des vampires, des cannibales, voilà ce que sont les romanciers. Des êtres monstrueux. Non contents d’absorber la vie des autres – ce qu’on leur reproche imbécilement de plus en plus –, ils se nourrissent des écrits de leurs pairs, du verbe littéraire fait chair. Une pratique prédatrice que Montaigne, dans ses Essais, nomme l’“innutrition” : le fait de s’imprégner de ses lectures, de consommer d’autres auteurs, le corps de leurs textes, pour alimenter une œuvre nouvelle. On ne parle bien sûr pas ici de plagiat, mais d’échos plus ou moins sonores. De filiation. Et l’on constate en cette rentrée que les jeunes écrivains ne cherchent pas forcément à tuer le père (ou la mère).
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Ainsi Elena Costa, 29 ans, qui signe son premier roman, Daniel Avner a disparu. Un titre modianesque en diable, tout comme l’histoire sur fond d’Occupation, de déambulation dans Paris et dans les brumes du passé. Bonus : la jeune femme dont s’éprend le héros se prénomme Dora. Comment ne pas penser à Dora Bruder ? Marion Guillot, 29 ans elle aussi, fait son entrée en littérature avec Changer d’air, un livre dont l’intrigue rappelle celle de Cercle de Yannick Haenel – un homme décide un beau matin de tout quitter – mais dont l’écriture, qui cultive distance et épure, s’inscrit clairement dans la dynastie Minuit – son éditeur –, celle d’Echenoz, Mauvignier, Viel.
Quant à Catherine Dousteyssier-Khoze, qui publie La Logique de l’amanite, elle se place sous la tutelle chapeautée d’Amélie Nothomb, avec un univers gentiment noir et un personnage au blase impossible, Nikonor, qui n’a rien à envier aux Pétronille et Prétextat de Nothomb.
Affirmer son appartenance à la communauté des écrivains
Afficher – consciemment ou non – un héritage, c’est affirmer son appartenance à une communauté au statut flou et précaire : celle des écrivains. Cela peut être rassurant lorsqu’on publie un premier roman, surtout aujourd’hui, alors qu’il n’existe plus d’école ou de courant littéraires clairement identifiés auxquels se rattacher. Encore faut-il que l’exercice d’admiration ne tourne pas à la pure imitation opportuniste ou à l’exploitation marketing, tentation de plus en plus prégnante.
Pour des auteurs qui n’en sont pas à leur coup d’essai, le jeu intertextuel peut avoir valeur d’hommage. En exergue de son nouveau roman, Anomalie des zones profondes du cerveau, Laure Limongi cite Denis Roche, auteur dont on perçoit – un peu trop – l’influence dans ce texte au formalisme éprouvé qui rappelle également certains livres d’Olivier Cadiot, qu’elle cite aussi.
Emprunts, répétitions et clins d’œil
Pas toujours facile pour un romancier de s’émanciper des écrivains dont il s’est nourri, d’assumer sa voix sans renier ce qui le constitue. C’est ce que réussit admirablement Monica Sabolo avec Crans-Montana, texte dans lequel on retrouve la grâce (et un peu de l’intrigue) du Virgin Suicides de Jeffrey Eugenides, mais qui charme par une musique qui lui est propre.
Ces emprunts, ces répétitions et autres clins d’œil doivent-ils être considérés comme le signe d’un essoufflement créatif, d’un manque de renouvellement esthétique ? Ils sont en réalité l’essence même de la littérature, ce livre unique qui s’écrit collectivement, comme l’envisageait Borges.
Daniel Avner a disparu d’Elena Costa (Gallimard), 144 pages, 13,50 €
Changer d’air de Marion Guillot (Minuit), 176 pages, 14 €
La Logique de l’amanite de Catherine Dousteyssier-Khoze (Grasset), 224 pages, 17 €
Anomalie des zones profondes du cerveau de Laure Limongi (Grasset), 208 pages, 17 €
Crans-Montana de Monica Sabolo (JC Lattès), 240 pages, 19 €
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