Une humanité aux abois, dans un paysage dévasté : “Demi-ciel” de Joël Casséus fait tristement penser à la guerre en Ukraine en nous plongeant dans l’horreur intemporelle de vies dévastées.
C’est un livre qui résonne étrangement en ce moment, alors que les troupes russes envahissent l’Ukraine et que les chaînes d’infos diffusent chaque jour des images de milliers de personnes jetées sur les routes.
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L’imaginaire de Joël Casséus paraît soudain se charger de réel : son dernier roman met en scène des humains qui se sont enfuis de chez eux après avoir traversé quelque chose d’indicible. Iels se sont installé·es dans un campement sauvage, contre un mur immense qui leur coupe la moitié du ciel. Tous les jours, les hommes partent creuser des fosses, on ne sait pas trop pourquoi, et eux non plus peut-être. Les femmes se débrouillent avec des tâches quotidiennes dont la nature nous échappe. Alentour une menace rôde. On sait seulement que des soldats patrouillent et que des amas de chairs en décomposition sont parfois aperçus dans les hautes herbes, au-delà des barbelés.
Casséus n’explique rien, ou si peu, et c’est tout un art. Le romancier québécois met sous nos yeux quelques images fortes et laisse agir nos propres angoisses. Demi-ciel, son deuxième livre publié en France, n’est pas la suite de Crépuscules (Le Tripode 2018), mais son prolongement. L’auteur reprend les thématiques qui l’obsèdent, l’exil, la guerre, la violence, pour mieux les explorer.
La guerre, un drame universel
Comme dans Crépuscules, le procédé littéraire utilisé est troublant : quelques narrateur·trices sans nom, un texte qui passe de l’un·e à l’autre sans la moindre indication. Une femme sur le point d’accoucher, un petit garçon, un père de famille, un homme sans mains, un sergent, une guérisseuse. Ces êtres décrivent au présent leur vie quotidienne et leur détresse. Pas d’angélisme ni de noirceur superflue dans la mise en scène de ces hommes et ces femmes qui se scrutent, s’épaulent ou se déchirent. Certaines scènes sont d’une infinie douceur, d’autres porteuses d’une horreur brute. Ainsi la vision de ce bébé mort-né qu’il faut enterrer “avant que son odeur glisse sur la plaine et attirent ceux qui rôdent”.
Ce décor de fin du monde pourrait être celui d’un film, d’une série, d’une BD, mais l’auteur a choisi la littérature, et en effet une étrange poésie se dégage de son texte. Son univers singulier est construit sur une phrase sensorielle, qui reste au plus près des corps et délaisse la psychologie. Surtout, et même si aujourd’hui la lecture de son livre nous renvoie à des images ultra-actuelles, Casséus décrit sans référence temporelle des réfugiés dont il ne précise pas la nationalité. Une stylisation qui transforme son texte en une fable d’ampleur universelle, terrible et magnifique.
Joël Casséus, Demi-ciel (Le Tripode), 176 pages, 16 €.
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