L’ouvrage collectif “Antiféminismes et masculinismes d’hier et d’aujourd’hui”, codirigé par l’historienne Christine Bard, démonte les mécanismes à l’œuvre chez les détracteurs du féminisme.
En 2019, le féministe fait encore peur. L’une des principales raisons de cette défiance tient au “post-féminisme”, soit l’idée que l’égalité femmes-hommes serait “déjà là”, que le combat féministe occidental en “ferait trop”. Le féminisme serait aussi misandre, non-inclusif et aliénerait les femmes… C’est ce qui ressort d’une étude portant sur le Tumblr “Women Against Feminism”, menée par Héloïse Michaud, doctorante en sciences politiques à l’Université du Québec à Montréal (Uqam).
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« Les femmes, comme tous les opprimés, répugnent à se sentir femmes, parce qu’elles répugnent à se sentir opprimées »
Créé en 2013, ce blog collectait des centaines de témoignages de femmes posant en selfie avec chacune une pancarte sur laquelle s’affichait leur raison de s’opposer au féminisme. “Les femmes, comme tous les opprimés, répugnent à se sentir femmes, parce qu’elles répugnent à se sentir opprimées. C’est un des grands obstacles à l’engagement dans la lutte féministe, car lutter, c’est reconnaître que l’on est opprimée, et reconnaître que l’on est opprimée est douloureux”, écrivait la sociologue féministe Christine Delphy en 1998 dans la revue Nouvelles questions féministes.
S’intéresser aux détracteurs
Sans parler de l’idéologie néolibérale galopante qui, à force de promouvoir l’individu, la win et la compétition au détriment du collectif, individualise les cas de sexisme et de misogynie, annule “la logique systémique de l’oppression” et culpabilise donc les femmes. A ceux qui en douteraient encore : on ne naît pas féministe, on le devient.
Pour mieux saisir l’importance du combat féministe, il faut s’intéresser à ses détracteurs. C’est tout l’objet de l’ouvrage collectif Antiféminismes et masculinismes d’hier et d’aujourd’hui, issu d’un colloque interdisciplinaire organisé en 2017 à l’Université d’Angers, publié sous la direction de Christine Bard, qui y enseigne, ainsi que de Francis Dupuis-Déri, professeur de sciences politiques à l’Uqam, et Mélissa Blais, chargée de cours en sciences politiques à l’Uqam.
Ce recueil de textes propose une plongée passionnante dans une idéologie encore trop méconnue
L’antiféminisme défini comme “contre-mouvement de pensée et d’action qui s’oppose au féminisme”, le masculinisme comme “mouvement social qui se constitue en Occident à partir des années 1980 pour défendre les ‘droits des hommes’ dans une société qu’ils estiment désormais dominée par les femmes”. De la définition de l’antiféminisme comme conservatisme à l’analyse des écrits misogynes de l’anarchiste Proudhon, ce recueil de textes propose une plongée passionnante dans une idéologie encore trop méconnue.
Antiféminisme intersectionnel
Si l’on devait ne retenir que deux chapitres, notre choix porterait sur la table ronde menée par Florence Rochefort avec des femmes croyantes et pourtant farouchement opposées aux logiques patriarcales et antiféministes de leurs religions ; et sur l’analyse par Christine Bard du caractère intersectionnel de l’antiféminisme, ou comment la misogynie, le racisme et l’homophobie convergent dans une même rhétorique d’extrême droite.
Appelant à la vigilance et à la déconstruction des mécanismes masculinistes à l’œuvre dans nos sociétés, cet ouvrage devrait être étudié en cours de philo, où l’on pourrait également s’attarder sur le sexisme revendiqué de nombreux philosophes au programme, dont Nietzsche qui estimait entre autres que “le plus grand malheur de notre temps est que la femme désapprend à craindre l’homme”.
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