Fred, le père de la série Philémon, est mort mardi 2 avril à l’âge de 82 ans, a annoncé son éditeur Dargaud. Il nous avait reçu chez lui, il y a un peu plus d’un an.
En janvier 2012, alors qu’il s’apprêtait à être honoré au festival d’Angoulême par une superbe exposition, Fred, auteur de la saga poétique Philémon, nous recevait chez lui dans son petit appartement cosy du Ve arrondissement. Un après midi délicieux où l’on avait plongé dans les souvenirs de ce conteur hors pair, à l’inventivité et l’imagination sans limite, créateur d’un univers onirique singulier, Grand Prix d’Angoulême en 1980 et également fondateur d’Hara Kiri avec Cavanna et Georges Choron en 1960.
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Avec malice et drôlerie, Fred, né Othon Aristides en 1931, avait évoqué son enfance, passée à dévorer les illustrés Mickey et Robinson et à dessiner dans des cahiers d’écoliers. Il était revenu sur ses débuts dans le dessin d’humour, sa rencontre décisive avec Cabu et Cavanna à Ici-Paris, puis la création d’Hara Kiri. “À l’époque, Hara Kiri bouleversait un peu les traditions, c’était inhabituel, un peu noir, assez dur. À l’époque les gens n’étaient pas habitués à ce qu’on attaque des infirmes ou des culs de jatte. À l’époque, tout était toujours bien pensant, il fallait être dans les normes. Hara Kiri c’était pour bouleverser tous les tabous. Les gens jetaient le magazine dans les égouts, nous insultaient. Mais c’était normal, parce qu’on attaquait les conventions” s’était-il souvenu.
Avec fierté, il nous avait parlé de Philémon, cette saga en seize tomes racontant les aventures extraordinaires d’un adolescent rêveur explorant des univers décalés et labyrinthiques constitués d’îles formées par les lettres de l’Océan Atlantique. Il a d’ailleurs poursuivi la série jusqu’à cette année – le dernier tome, Le train où vont les choses est paru en février, bouclant la boucle de cette série magique. Il nous avait ouvert ses tiroirs pour dévoiler quelques trésors, comme l’original de la célèbre planche Simbabbad de Batbad, représentant Philémon découvrant que l’île sur laquelle il se promène est un chien. “Celui-là je ne le vendrais même pas dix millions” avouait-il alors. “Il résume toute la bande dessinée. Souvent il est pris comme modèle pour expliquer la BD. Je ne l’expose pas.”
Victime d’un problème cardiaque il y a quelques années, Fred avait du mettre entre parenthèse sa carrière. Mais depuis 2011, l’octogénaire était à nouveau en forme. Une exposition à la galerie Martel en 2011, l’exposition à Angoulême 2012, la belle intégrale de Philémon sortie en 2011 et la réédition du Petit cirque, sommet de BD absurde et décalée parue en 2012 l’avait remis sur les devants de la scène.“Quand on ne sort plus rien pendant quelques années, après les gens ne savent plus si vous êtes toujours vivant,” plaisantait-il. Enthousiaste, il nous avait confié ses projets. Outre la fin du Train où vont les choses, il aurait bien voulu faire une trilogie de son chef d’œuvre sombre L’Histoire du corbac aux baskets. “Je n’ai pas le temps parce qu’à mon âge, je sais que je mourrai avant de l’avoir fini. Je me ferai enterrer pour l’éternité avec ma planche à dessin et du papier et pendant toute l’éternité je dessinerai. À chaque Toussaint je glisserais un album posthume. Tiens, c’est une bonne idée d’histoires ça !” On sait maintenant malheureusement qu’on n’aura jamais la chance de la lire.
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