Parmi la famille peu nombreuse mais tonitruante des “néoréacs”, c’est Ivan Rioufol qui s’y colle, cette fois, pour dénoncer les “sermonneurs bien-pensants” qui mènent notre vieux pays au désastre.
Au studio de RTL où il participe à l’émission On refait le monde aux divers plateaux (Mots croisés, C dans l’air) d’Yves Calvi qui affectionne sa présence, la voix et le visage d’Ivan Rioufol, journaliste au Figaro, résonnent dans le théâtre médiatique d’une étrange manière : désuète, vieille France élégante, et pour le dire vite, un peu flippante. Souvent, il faut se pincer pour croire que l’on ne rêve pas en l’écoutant ressasser ses sujets obsessionnels, concentrée dans son dernier livre De l’urgence d’être réactionnaire.
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Tranquillement, comme si rien ni personne ne pouvait le faire dévier, surtout pas ces gauchistes qui gangrènent les médias, il déploie une pensée à côté de laquelle les oeuvres complètes d’Eric Zemmour pourraient presque faire office de manifeste altermondialiste. Médiatiquement, c’est-à-dire placé au coeur d’un dispositif technique et idéologique, sa parole vaut de l’or : elle fait le spectacle, par son outrance droitière assumée avec la décontraction des idéologues de la vieille droite, en guerre contre la fameuse (et illusoire) “bien-pensance” dominante.
Quelques rares journalistes qui hystérisent tout le monde
De vifs débats, souvent stériles, ont récemment opposé les médias entre eux autour de la définition du profil journalistique dominant : pour les réacs, les strapontins dans les médias sont réservés à la gauche (molle, surtout), qui elle, pense au contraire que les réacs élargissent sans cesse leur territoire.
“Les grands inquisiteurs ont leur rond de serviette dans la plupart des journaux, radios et télévisions où ils se relaient, s’épaulent, se cooptent depuis des lustres”, écrit l’auteur.
De ce point de vue, il n’a pas totalement tort lorsqu’il fait remarquer que sur les 37 000 journalistes français, seuls quelques rares égarés (Robert Ménard, Eric Brunet, Natacha Polony, Eric Zemmour, Elisabeth Lévy…) suffisent à hystériser tout le monde. Mais c’est leur force de faire surgir de leur petit nombre un grand écho : car leur parole porte loin, même si celle de Rioufol paraît plus calme (et plus dangereuse) à côté de sa consoeur agitée Elisabeth Lévy.
Le « nécessaire sursaut réactif »
L’un des traits les plus frappants de la pensée “néoréac” théorisée par Rioufol repose sur la réactivation d’un vieux motif de la droite extrême : la barbarie nous guette, le déclin s’est installé, et pour y résister, il faut un “nécessaire sursaut réactif”, c’est-à-dire “déconstruire les déconstructeurs, sermonner les sermonneurs, juger les juges”, s’opposer aux “adeptes des sciences sociales” et aux “journalistes-perroquets qui n’ont jamais autant répété vouloir faire sens que depuis qu’ils ont perdu le nord”…, et bien sûr rejeter les immigrés, l’islam, le multiculturalisme (la plaie absolue selon les néoréacs), défendre l’obsession identitaire, le culte barrésien de la terre…
Engagé contre la déculturation et le déracinement, le néoréac, qui se dit de son temps, qui se veut “moderne ”, est “un franc-tireur et un épouvantail pour les dépositaires du discours autorisé et leurs émules couleur muraille”. “Impatients d’en découdre”, croyant leur “heure venue”, les néoréacs, tels que les définit Ivan Rioufol, s’apprêtent à occuper l’espace médiatique dans les mois qui viennent.
S’ils se contentaient de circuler dans les sphères du Figaro, on pourrait simplement en rire ; mais leur appétit idéologique, habilement habillé à travers une forme oratoire efficace, risque de faire avaler des couleuvres à des téléspectateurs et auditeurs perdus. En 2012, au-delà des meetings, l’affrontement politique se jouera aussi sur ces plateaux télé et radio, où les réacs fulminants, Rioufol en première ligne, voudront imposer leur cadre dans une pure stratégie gramscienne de guerre des idées. De l’urgence d’y résister.
Jean-Marie Durand
De l’urgence d’être réactionnaire d’Ivan Rioufol (PUF), 192 pages, 18 €
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