[Spécial écrivaines oubliées 8/9] C’est la première autrice afro-américaine à avoir connu le succès aux États-Unis. Son roman, “La Rue”, vendu à un million d’exemplaires, témoignait des conditions de vie terribles des Noir·es de New York.
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C’était la première fois qu’un roman traitant de la (vraie) vie des Noir·es à Harlem, en plus écrit par une Afro-Américaine y vivant, obtenait un tel succès. Ce phénomène, c’est à une certaine Ann Petry qu’on le doit : en 1946, elle signe son premier roman, La Rue, chronique angoissante de la survie d’une femme seule en pleine Amérique ségrégationniste. Lutie, mère célibataire, jolie femme noire, est installée avec son fils de 8 ans dans un trois pièces minable d’un immeuble acceptant les “gens de couleur”, situé 116e Rue, Manhattan.
Le roman est sidérant, ne laisse rien au hasard et dit tout des dangers qui encerclent Lutie, des limites qui l’entravent, d’une menace qui plane sans cesse sur elle et son enfant. Comment empêcher celui-ci de mal tourner en cédant aux mauvaises influences et autres rencontres de “la rue” ? Comment empêcher le “dehors” de détruire le “dedans” ? Comment échapper au harcèlement sexuel du concierge ? Comment parvenir à travailler sans subir humiliations et rejet raciste dans un monde où une femme noire n’a pas d’autre choix que d’être prostituée, servante ou chanteuse de cabaret ?
Elle annonçait déjà Toni Morrison
Ann Petry (1908-1997) a grandi dans le Connecticut au sein d’une famille afro-américaine de la classe moyenne. Après des études de pharmacie, suivies pour ses parents (un père pharmacien, une mère coiffeuse) plus que par vocation, elle se met à écrire, publie dans des revues, se marie et déménage à Harlem, où elle enseigne et sera témoin des conditions de vie terribles des Afro-Américain·es de New York.
Elle s’inscrit en droite ligne de la Renaissance de Harlem, mouvement culturel surtout actif dans l’entre-deux-guerres
Autrice de deux autres romans, non traduits, de deux essais, dont l’un consacré à Harlem en 1949, et de pléthore de nouvelles, elle s’inscrit en droite ligne de la Renaissance de Harlem, mouvement culturel surtout actif dans l’entre-deux-guerres, qui fera du quartier new-yorkais le centre d’une nouvelle littérature noire. Dans les années 1940, Ann Petry en fut la plus éclatante héritière et annonçait déjà une Toni Morrison, avant d’être injustement oubliée.
La Rue d’Ann Petry (10/18, 2018), traduit de l’anglais (États-Unis) par Martine Monod, Nicole et Philippe Soupault, 384 p., 7,90 €. En librairie.
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