Plongeant dans le bain des avant-gardes musicales du XXe siècle aux côtés d’un héros à l’“oreille bleue”, le nouveau roman de Pierre Ducrozet confirme son talent de virtuose et son approche profonde de la littérature.
On reconnaît, dès les premières pages de Variations de Paul, le style sans égal de Pierre Ducrozet. Des phrases qui filent, se condensent ou se précipitent ; des mots qui s’entrechoquent, créent des sensations profondes, images, sons.
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Personnage proche du Vernon Subutex de Virginie Despentes, Paul Mareval est un être solitaire et solaire, incapable du moindre mal et donc sans cesse dépassé par les événements, rattrapé par la dure réalité de la vie. Un cœur aussi pur que fragile, qui s’arrête parfois de battre pendant de brefs instants, l’emmenant aux portes de la mort.
Ce garçon a un don unique au monde : son “oreille bleue”, comme l’appelle son ami Casey. Dès qu’il entend un air, une mélodie, il la transpose en couleurs, formes, images, histoires. Son histoire répète en partie celle de son père, Antoine, jeune pianiste monté à Paris pour s’y heurter au snobisme et au dédain avec lesquels on regarde dans la capitale celles et ceux qui n’y sont pas né·es.
Après avoir assisté à un concert de Jimi Hendrix, Paul réalise qu’il n’aura jamais la technique qui lui permettrait d’aller plus loin que le maestro. Il frôle la folie, déprime, se cloître dans une vie balisée, qu’il fuit bientôt en courant. Après un départ avorté pour Londres, il devient dénicheur de talent pour un label de musique dans le New York des années punk.
Il faut comprendre le titre au sens musical du mot : ces “variations” comme autant de fugues
Célébrer la beauté des choses
Pierre Ducrozet montre avec ce cinquième roman la dimension éminemment musicale de son talent d’écrivain. Ce ne sont pas tant les descriptions, certes très réussies, des avant-gardes musicales du XXe siècle que rencontre son héros, défricheur insatiable de nouveaux groupes, du Lower East Side de Lou Reed au Manchester de Joy Division, qui font l’intérêt de Variations de Paul. C’est la façon dont ces courants musicaux traversent véritablement ce livre, déferlant parfois avec fureur ou se déployant sereinement, comme un solo de John Coltrane.
Il faut comprendre le titre au sens musical du mot : ces “variations” comme autant de fugues, symphonies sur le même thème, celui de Paul qui les écoute, les comprend, les traduit en histoires fabuleuses.
L’auteur a confié, au sujet de son nouveau livre, avoir voulu écrire “une histoire des éclopés, des assoiffés”
Toujours aussi gracieux et flamboyant, Pierre Ducrozet prend aussi avec ce nouveau roman de l’envergure et de la maturité. Car il s’autorise ce que l’époque permet de moins en moins aux romancier·ières : s’écarter de l’intrigue pour interroger le sens profond des choses ; s’arrêter, méditer ou tout simplement célébrer la beauté des choses, si le cœur lui en dit.
Cette dimension poétique et philosophique de la littérature : comment une histoire peut être aussi une question, un problème, une chanson. L’auteur a confié, au sujet de son nouveau livre, avoir voulu écrire “une histoire des éclopés, des assoiffés”. Et “en définitive, autant que possible, un hymne à la joie”. Placé sous les signes conjugués de la musique et de la grâce, ses “variations” confirment sa place de virtuose de la littérature française contemporaine.
Variations de Paul de Pierre Ducrozet (Actes Sud), 464 p., 22,90 €. En librairie le 17 août.
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