Dans “Héritocratie : les élites, les grandes écoles et les mésaventures du mérite (1870-2020)”, le sociologue Paul Pasquali montre comment “l’héritage se reproduit et le mérite se fabrique”.
“La France continue inexorablement sa fuite en avant vers une introuvable méritocratie.” Voilà le constat dressé par Paul Pasquali dans Héritocratie : les élites, les grandes écoles et les mésaventures du mérite (1870-2020), un passionnant essai retraçant l’histoire de ces établissements dits d’excellence depuis l’avènement de la IIIe République et sa conception moderne du mérite républicain.
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Pas de méritocratie, que de l’héritocratie
Le sociologue, poursuivant son travail initié avec Passer les frontières sociales (La Découverte, 2014), analyse ici finement comment les grandes écoles, confrontées depuis leur création à différentes crises, critiques et réformes, n’ont cessé de s’adapter et de se mobiliser afin de conserver leurs intérêts. Un système héritocratique considérant (et présentant) ses privilèges comme étant nécessairement mérités quand ils sont en fait largement le fruit de la reproduction sociale, les enfants des classes populaires restant dans leur immense majorité exclu·es de ces filières.
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Certes, les grandes écoles ont, ces dernières années, affiché un certain volontarisme en la matière, mettant en œuvre des mesures d’ouverture sociale pour les élèves boursier·ères. Mais, comme le montre l’auteur, citant ici Ferdinand Buisson, ces “exceptions consolantes” ne servent en fait qu’à “faire oublier l’injustice foncière qui reste la règle générale”. Pire : “les grandes écoles sont d’autant plus destinées à se saisir des critiques de la méritocratie qu’elles ont progressivement appris à les intégrer à leurs propres discours et, par là, à les désarmer.” En témoigne la réforme de l’ENA annoncée en 2021 par Emmanuel Macron… lui-même énarque.
D’où la volonté de Paul Pasquali de “déconstruire l’héritage et repenser le mérite”, loin de la culpabilisante rengaine “quand on veut, on peut” particulièrement usitée en France depuis la conversion du pays au modèle néolibéral, dans les années 1980. “Si nous n’y prenons pas garde, la face émancipatrice du mérite – celle qui permet de refuser l’arbitraire, le népotisme, le clientélisme – disparaîtra au profit de sa face reproductrice – celle qui transforme les inégalités de naissance en hiérarchies méritées et les exceptions statistiques en trophées.”
Héritocratie : les élites, les grandes écoles et les mésaventures du mérite (1870-2020) de Paul Pasquali, éd. La Découverte, 275 pages, 21 €.
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