Un homme perd un mot, le cherche. Voilà tout l’enjeu de ce roman qui interroge le lien de l’écriture au réel et les métamorphoses du souvenir.
Une île sur l’Océan, un petit port paisible hors saison. Le temps est gris et le narrateur décide de photographier quotidiennement la mer. Les clichés sont épinglés sur le mur de sa chambre d’hôtes jusqu’à former un grand puzzle incertain.
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Jour après jour, l’homme plonge dans le désarroi. Malgré ses innombrables photos, il ne parvient pas à saisir l’essentiel, la mer lui échappe. Comme cet angoissant tableau au-dessus de son lit, une marine qui semble se transformer sous son regard.
La persistance dans nos vies de ce qui n’est plus
Saisir l’insaisissable est au cœur du travail de Philippe Forest, et l’étrangeté dans laquelle s’immergent ses derniers romans, notamment le fantasmatique Crue, est l’aboutissement d’une réflexion élaborée à partir de ce qui constitue l’essence même de ses textes, nés de la perte d’un enfant : l’impossibilité du deuil, ou la persistance dans nos vies de ce qui n’est plus.
Ainsi l’autre narrateur du livre se réveille un matin en proie à un sentiment troublant. Il a perdu un mot et la quête de ce mot égaré l’entraîne au fond de lui-même : “J’en arrivais à penser de l’oubli qu’il n’est pas le contraire du souvenir mais qu’il en constitue peut-être la condition.”
A travers ses narrateurs et leur difficulté à se saisir du monde, l’auteur ne parle peut-être que de l’écriture, vue comme un perpétuel questionnement sur le réel. Ce livre mystérieux où de lumineux moments laissent entrevoir un salut possible pourrait être un conte philosophique.
Une brume envoûtante
Philippe Forest signe pourtant un grand roman par la force et la puissance qui se dégagent de ses phrases. Alors que son personnage s’interroge sur la représentation de la mer, cette surface mouvante qu’il ne peut saisir avec son appareil photo, Forest l’invente par ses mots.
L’atmosphère de cette île océanique plongée dans la brume nous envoûte, et la description du port la nuit constitue une magnifique page de littérature marine : “Tout bouge un peu, il en faudrait à peine plus pour que, rompant ses amarres, le sol s’en aille comme un radeau partant à la dérive, aspiré par la grande gueule d’encre qui écarte au loin ses mâchoires, exhibe ses dents et ses gencives, fait rouler sa langue et dont l’haleine forte s’en vient souffler, salée, avec le vent jusque sur le rivage.”
L’Oubli (Gallimard), 240 p., 19 €
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