Dans “L’Étranger qui vient”, l’anthropologue Michel Agier invite à repenser l’hospitalité, dans un contexte où les frontières se renforcent.
D’où vient un étranger ? Où se rend-il ? De qui est-il l’étranger ? Ces questions surgissent au fil de la lecture du dernier ouvrage de Michel Agier, L’Étranger qui vient. Repenser l’hospitalité. Anthropologue, directeur de recherche à l’IRD (Institut de recherche pour le développement) et directeur d’étude à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales), Michel Agier s’est exprimé à plusieurs reprises dans les médias sur la place que nous faisons aux migrants au sein de notre société.
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Dans son livre, l’universitaire explore les différentes significations et réalités sociales qu’a recouvert le terme d’hospitalité dans différents contextes jusqu’à notre société occidentale moderne. En anthropologue, Michel Agier travaille autant sur les pensées, représentations et imaginaires que les faits et les contextes eux-mêmes.
L’ambition de repenser l’hospitalité
Dès lors, le produit de ce travail recouvre une ambition vaste, celle de traiter de l’évolution de la place faite à l’hospitalité, à travers les écrits des philosophes, des anciens aux plus modernes, des pratiques d’ici et d’ailleurs – étudiées par les anthropologues – d’hier et d’aujourd’hui. On traverse alors les frontières à plusieurs reprises, du Liban à l’Afrique de l’Ouest, du Brésil à Paris. On s’interroge, avec l’auteur, sur les actions et réactions de nos concitoyens, c’est-à-dire les nôtres, et sur leurs causes. Quelle place laisse-t-on à l’hospitalité, que signifie le choix de s’y prêter, ou de s’y refuser ?
« [L’hospitalité], fragile relation qui dépend de la complémentarité des rôles et prévoit son propre dépassement – dans l’incorporation sociale, l’inclusion, ou au contraire par le départ, le rejet ou l’abandon. »
Un pas vers l’inconnu
L’hospitalité, est avant tout l’accueil d’un individu inconnu. Michel Agier questionne l’évolution de cet impératif divin puis moral inconditionnel dans la pensée occidentale des penseurs grecs à nos contemporains. Jacques Derrida, l’auteur en 1996 de Cosmopolites de tous les pays, encore un effort, devient le représentant de cette philosophie qui « [dit] l’éthique sans s’occuper de la vie réelle alors que, précisément, l’éthique désigne le quotidien des choix difficiles que chacun est amené à faire ».
Il est naïf et faux de considérer les étrangers comme des entités idéales, qui ne valent que par l’image qu’elles renvoient de nous. Ces figures ont des parcours, des cultures et des personnalités propres. Accueillir un étranger signifie, plutôt qu’une obligation morale, vivre avec une personne avec laquelle on a, a priori, rien en commun si ce n’est cette situation nouvelle.
La cause a ses raisons…
De son expérience du terrain, l’anthropologue a fait remonter 4 causes qui, dans le discours de ceux qui accueillent, les ont poussé à l’engagement. La première d’entre-elles, est la « souffrance » de l’exilé, qui, selon l’auteur, risque pourtant d’exclure ceux dont les difficultés ne sont pas évidentes. Beaucoup, dans un pays où nombreux sont les noms aux sonorités étrangères, se réfèrent également à une « ressemblance » : eux-aussi, ou leurs ancêtres, ont été des migrants. À l’inverse, la différence est aussi invoquée, considérant que les migrants sont « tout ce que nous ne sommes pas », ce qui est pensé comme nécessairement positif, au « risque […] [de les] essentialiser » dans une identité fermée à la modernité. Mamoudou Gassana, enfin, incarne la quatrième cause : on aide un étranger parce qu’il est exceptionnel, différent des autres.
Réinventer une « relation à trois »
Michel Agier souligne les contradictions et les limites de ces motivations. Il leur manque, selon l’auteur, ce « principe d’hospitalité », qui fait le lien entre les personnes. Ce lien se tisse toujours dans un contexte particulier et surtout dans un espace, celui des communes, du village à la métropole. L’auteur, pour comprendre ces rapports, nous met en présence d’une « relation à trois » particulière entre l’État, les migrants et « nous ». Alors que l’État ne remplit plus son rôle de cadre pour l’hospitalité – remplacé par un droit d’asile ambivalent – un vide a été laissé, jusqu’à la récente « crise des migrants », inoccupé.
Les associations et organisations sociales, religieuses, parfois politiques, et les communes, occupent, à nouveau et de plus en plus, depuis quelques années, ce vide. Cette démarche est hautement politique, contestataire et critique à l’égard de l’État et ne va pas sans poser de nombreuses questions et créer d’importantes tensions. Mais le principal produit de ces rapports nouveaux reste la production d’un espace particulier, cosmopolite dont Michel Agier propose sa définition :
« [Je] fais l’hypothèse que le cosmopolitisme est d’abord une expérience concrète, vécue, immédiate, de tout ce qui relève d’une relation avec un dehors proche ou lointain et qui donne ainsi le signal du ‘monde’ ».
Cet espace prend forme dans la ville, du quartier défavorisé et du ghetto stricto sensu, aux petites communes repeuplées par l’arrivée de migrants. Les liens de sociabilité locaux se réinventent entre les habitants autant qu’avec les migrants jusqu’à produire, chez ces étrangers de toutes parts qui se rencontrent, des « combinaisons culturelles » propres, originales et nouvelles. L’anthropologue propose un modèle de curseurs pour évaluer, selon différents critères, le degré de cosmopolitisme de chacun pour faire prendre conscience de l’universalité de la condition d’étranger : une sorte de kit personnel que nous vous invitons à essayer au plus vite.
Michel Agier, L’Étranger qui vient. Repenser l’hospitalité, éd. Seuil, 2018, 156 pages, 17 €.
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