A travers le portrait d’une ado terrorisée par son père, la romancière écossaise Sarah Moss met en scène les conflits de genre.
Une fille dénudée, livrée aux regards de la foule, alors qu’on lui passe une corde autour du cou et qu’une lame entaille sa chair. Cette étrange vision d’horreur, déconnectée de tout repère chronologique, sert d’ouverture au roman Dans la lande immobile. Puis elle s’estompe aussi vite qu’elle est apparue pour laisser place à la voix rageuse d’une ado d’aujourd’hui, Silvie. La scène va pourtant planer sur le roman tout entier, angoissante, jusqu’au dénouement.
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Silvie passe avec ses parents des vacances un peu particulières. Son père, chauffeur de bus dans une petite ville du nord de l’Angleterre, est un nationaliste radical, féru d’histoire britannique. Il a entraîné sa femme et sa fille dans un stage d’archéologie expérimentale digne des survivalistes : il s’agit de vivre en forêt comme à l’âge de fer en se nourrissant de racines et de baies, de poissons pêchés dans la rivière. Le stage est organisé par un universitaire charismatique qui a entraîné à sa suite trois de ses étudiants, Pete, Dan et Molly.
Sarah Moss nous donne à entendre le monologue intérieur de cette ado qui porte un regard critique sur ce qui l’entoure. Silvie l’a compris depuis longtemps : son père ne cherche dans l’archéologie que des justifications à ses obsessions nationalistes délirantes. Mais elle en a peur.
Les hommes à la chasse et les femmes au foyer
Car la romancière a mis en scène une famille modeste où la mère fait ce qu’on lui dit de faire, et où la fille doit taire ses commentaires lucides. Ici, la violence paternelle n’est jamais contestée, et Silvie a pour habitude de vivre dans la terreur.
Au sein du campement règne d’abord la méfiance, car les problématiques de classe sont exacerbées dans un microcosme où bourgeois citadins et lettrés doivent cohabiter avec des autodidactes. Pour Moss, pourtant, ce sont les problématiques de genre qui sont déterminantes. L’amitié solidaire de Molly va fissurer la carapace de Silvie, alors que la plongée dans une ambiance des premiers âges, ou plutôt dans la représentation que chacun s’en fait, va révéler une violence virile incontrôlable.
Dans le camp, les rôles vont très vite être distribués, les hommes à la chasse et les femmes au foyer. Et Moss nous montre que dans un tel cadre, prof d’université et chauffeur de bus sont unis dans un même rêve de toute-puissance.
Dans la lande immobile de Sarah Moss (Actes Sud), traduit de l’anglais par Laure Manceau, 144 p., 17,80 €. Disponible en version numérique, 12,99 €
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