Qui d’autre que la britishissime Daphné Du Maurier pouvait s’intéresser à la trajectoire fulgurante et inspirante du frère des trois sœurs Brontë ? Un portrait idéal pour comprendre la déferlante romantique anglaise du XIXe siècle.
Une tignasse rouge aux mèches folles, un regard sombre injecté de sang, caché par de petites lunettes. L’Angleterre de Daphné Du Maurier ressemble à un visage : celui de Branwell Brontë, frère des célèbres sœurs, artiste raté, alcoolique notoire, en proie à des maux psychiques et une “fièvre cérébrale” qui mit prématurément un terme à sa vie à 31 ans. Derrière lui, il ne laisse rien si ce n’est une famille tourmentée et des milliers de pages noircies depuis l’enfance.
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“Au cours de toute ma vie, je n’ai rien accompli de grand, ni de bon”, confesse-t-il avant sa mort. Alors pourquoi consacrer un livre à ce fils de pasteur ? Quel fut son mérite au-delà de son illustre parenté, dans cette Angleterre victorienne du début du XIXe siècle ? Dans sa préface, Daphné Du Maurier rappelle que la plus grande biographie écrite sur Anne, Emily et Charlotte fut rédigée par Elisabeth Gaskell, en 1857 ; seulement, à l’époque, on ignore encore l’existence de fictions de jeunesse, des dizaines de manuscrits écrits de la main de Branwell et véritable matrice de l’œuvre des sœurs Brontë.
Romantisme noir
Avec son amour des Cornouailles, son œuvre elle-même fortement empreinte de romantisme noir, pas étonnant que l’auteur de Rebecca se soit penchée sur cette vie sauvage et indomptable, autodestructrice, cernée de tombes et de dalles funéraires. Comme si la folie de Branwell était le prolongement d’un paysage : un presbytère perdu dans la lande du Yorkshire où habite la famille.
Au fil de ce magnifique essai hanté qu’est Le Monde infernal de Branwell Brontë, publié en 1960, on suit un destin chaotique – enfant précoce mais “nerveux à l’excès”, étudiant en art à Paris, puis très vite paria social sous laudanum et souffrant de convulsions – assombri très vite par des deuils : d’abord sa mère alors qu’il a 4 ans, puis deux sœurs aînées, Maria et Elisabeth, atteintes de tuberculose.
Monde fantasmagorique
Pour fuir cette ombre sur sa vie, Branwell crée un monde fantasmagorique auquel il associe ses sœurs. Des fictions, une revue littéraire, tout un empire romanesque peuplé de géants, de soldats et même de banquiers, “se dépensant à tel point pour décrire la vie et les amours de ses personnages imaginaires, qu’à l’âge de vingt et un an, toute source d’invention était tarie en lui”.
Moteur d’une machine à rêves, inspirateur de Jane Eyre et surtout modèle du ténébreux Heathcliff dans Les Hauts de Hurlevent, le chef-d’œuvre d’Emily, Branwell ne pouvait qu’être ce cœur maudit errant de la lande vers ses vertiges intérieurs, la folle et parfaite incarnation du mythe romantique qui déferla sur la Grande-Bretagne durant la première partie du XIXe siècle.
Le Monde infernal de Branwell Brontë (Phébus), traduit de l’anglais par Jane Fillion, 320 pages, 20,30 €
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