En 1958, W. C. Heinz signait le portrait intime d’un boxeur à l’entraînement. Un livre culte du noble art qui vient d’être traduit en français.
Il fut un temps, pas si lointain, où les boxeurs pro ne touchaient que 6 000 dollars par combat, où les magazines se vendaient à huit millions d’exemplaires et où les journalistes pouvaient passer quatre semaines sur un seul et même article. Une autre époque. A la fin des années 1950, le boxeur Eddie Brown (inspiré du vrai Billy Graham) cumule quatre-vingt-sept victoires pour trois défaites dans la catégorie des poids moyens.
Après neuf ans sur le ring, il s’apprête à disputer le combat de sa vie, celui pour le titre de champion du monde. Durant un mois, encadré par son coach bourru et une demi-douzaine d’autres athlètes, il part s’entraîner au vert.
Dans une pension champêtre, les sportifs vivent à huis clos, suent sang et eau et dorment à deux ou trois par chambrée. Pendant toute la durée de cette retraite, le journaliste Frank Hughes, alter ego de papier de W. C. Heinz, va suivre la préparation du champion. Des entraînements aux repas, des vestiaires aux engueulades, le reporter accède à toutes les coulisses. Alors il voit, entend et consigne tout.
« Comme un bloc de marbre’
Ce que cela coûte raconte la passion, l’effort, l’abnégation. Il est le portrait d’une poignée d’hommes en gladiateurs, héros modernes à l’exercice, luttant contre l’absurdité d’une vie de sacrifices et l’urgence des gloires fragiles, menant une “croisade en solitaire contre la réalité”.
Loin de la lumière des grands soirs d’exhibition, il est une plongée dans le contrechamp de la discipline, là où se déploient les doutes, les douleurs et les frustrations. Mais il est aussi un hommage à la relation si particulière qui unit le boxeur à son entraîneur, ce pygmalion mi-père spirituel mi-garde-chiourme, sculpteur de triomphes : “Lorsqu’un gamin décide de devenir boxeur et quand, quelque part, il se pointe dans une salle, sac à la main, il est comme un bloc de marbre tout droit sorti d’une carrière, un bloc de la taille d’un homme. Un tailleur de pierres peut voir beaucoup de choses dans le marbre brut, mais le sculpteur n’en voit qu’une. Pour lui, il n’y a pas deux blocs identiques, et ce qu’il voit, c’est ce que le bloc est destiné à devenir.”
Il est qualifié à sa sortie en 1958 de “seul bon roman à propos d’un boxeur” par Hemingway, grand pugiliste lui-même.
Ecrit au cordeau, sans fioriture mais avec un sens du dialogue jouissif, le roman de W. C. Heinz (qui fut journaliste sportif) est l’un des textes fondateurs de ce qui deviendra plus tard le nouveau journalisme. Qualifié à sa sortie en 1958 de “seul bon roman à propos d’un boxeur” par Hemingway, grand pugiliste lui-même, il résonne aujourd’hui comme le témoignage d’une époque révolue. A l’heure où l’américain Floyd Mayweather négocie ses combats 80 millions de dollars et pavane en jet sur Instagram, il y a dans la fiction de W. C. Heinz quelque chose qui nous ramène à l’authenticité d’un sport devenu depuis du grand spectacle cathodique, à la noblesse d’un art “qui s’approche au plus près de la vérité” des hommes.
Ce que cela coûte (Monsieur Toussaint Louverture), traduit de l’anglais (E.-U.) par Emmanuelle et Philippe Aronson, tirage limité et numéroté à 5 000 exemplaires, 352 p., 24 €