Ne vous fatiguez pas à devenir Proust, c’est impossible. Alors qu’être Dan Brown, c’est à la portée de tous. Démonstration en cinq règles.
Tu es jeune, tu rêves de devenir un grand écrivain qui marquera son temps, tu vas passer les vingt prochaines années à écrire des romans moyens, que seuls tes copains journalistes chroniqueront ; peu à peu, aucun éditeur n’acceptera de te publier et tu finiras aigri, dans la misère, à supplier tes enfants (qui te mépriseront) de t’envoyer quelques boîtes de salsifis. Franchement, était-ce bien raisonnable ? Tu ne seras jamais Flaubert, alors pourquoi ne pas essayer de faire Dan Brown ? C’est nettement plus facile, et ça peut rapporter gros (et de ton vivant !). D’autant que toutes les clés de son succès résident dans Inferno, son nouveau roman. Voici, rien que pour toi, les recettes d’un best-seller assuré.
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1. Commencer avec deux énigmes
Attaquer par un chapitre hypermystérieux, limite ésotérique : ici, un dénommé l’Ombre erre dans les rues en répétant à l’envi « Je suis l’Ombre » et finit par se suicider. Enchaîner avec le protagoniste devenu amnésique (Robert Langdon, qui se réveille dans un hôpital à Florence alors qu’il se croyait aux Etats-Unis) et une tueuse qui débarque pour le flinguer. D’où un secret à trouver. D’où le début d’une infernale course poursuite…
2. Avoir deux héros
Si possible, un homme et une femme, qui se lanceront à la recherche de la vérité pour contrecarrer le mal (ici, l’anéantissement d’une partie de l’humanité. Bah oui, vas-y carrément, personne ne te suivra sur 565 pages pour sauver une limace). La femme, ici doctoresse, est forcément hyperbelle et hyperintelligente (Sienna est une surdouée). Et en plus, elle cache elle aussi un passé mystérieux (sinon pourquoi porterait-elle une perruque ?).
3. Avoir deux sujets
La haute culture d’un côté, la science la plus contemporaine de l’autre. Dans Inferno, Brown mixe La Divine Comédie de Dante (à décrypter pour trouver le secret !), l’histoire de la littérature italienne, de Florence et de l’art italien (Vasari est cité à toutes les pages), avec une peur bien d’actualité, celle du terrorisme et des armes chimiques.
4. Alterner les chapitres courts, mais chocs
Dan Brown privilégie le rythme. Il y a plein de rebondissements dans chaque chapitre, qui s’achève sur un twist haletant qui nous donne furieusement envie de lire la suite. Chacun d’eux suit un personnage (Robert et Sienna, la tueuse en moto, le policier, le chef de la méchante organisation secrète engagée par l’Ombre pour décimer l’humanité…) en alternance, un peu comme dans un épisode de Friends.
5. Etre redondant
L’écriture ne doit pas être suggestive, donc surtout pas littéraire, mais mettre sans cesse les points sur les « i ». Ainsi, pour ceux qui n’auraient pas compris : les gouffres sont toujours « vertigineux », les ténèbres forcément « sombres », et quand on est assis, il est bon de préciser que c’est « à la verticale ». Car n’oublie jamais que même les imbéciles te liront.
Accessoirement…
Joindre une photo où tu fais érudit (veste en tweed, pull tricoté main, lunettes). Convaincre les éditions JC Lattès de te publier, même si tu n’es pas anglo-saxon. Enfin, dédier le livre à tes parents, ça fait toujours sérieux et ça attendrit. Et puis, Dan Brown le fait – et on sait que tout ce qu’il fait vaut de l’or.
Nelly Kaprièlian
Inferno (JC Lattès), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Dominique Defert et Carole Delporte, 565 pages, 22,90 €
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