Douze ans après l’autobiographique Blankets, le dessinateur américain Craig Thompson opère un virage surprenant avec le space opéra familial et écolo de Space Boulettes. Il a pourtant mis beaucoup de lui dans cette BD jeunesse influencée par Star Wars, Spielberg ou Melville.
Après Blankets ou Habibi, des albums pour adultes, Space Boulettes s’adresse d’abord au public jeunesse. Comment est-ce arrivé ?
Craig Thompson – Quand je dessinais Blankets, je réalisais des illustrations et des strips comiques pour des magazines jeunesse. C’était mon moyen de payer les factures et ça donnait un bon équilibre à ma vie créative. Mais, quand j’ai entamé Habibi, j’ai mené de longues recherches, notamment autour du Coran, et j’ai arrêté la presse jeunesse pendant six ans. D’où ma frustration et l’envie de revenir à quelque chose de plus léger. Avec Space Boulettes, j’ai aussi pensé à tous les enfants de mes amis qui veulent lire mes livres. Sa structure est celle d’une aventure simple et directe. Mais j’ai pu insuffler les thèmes qui m’intéressaient en prenant comme référence les films Pixar. Mon histoire, j’ai voulu qu’elle fonctionne à plusieurs niveaux afin de ne pas me couper de mon public adulte. Enfin, ce livre, il est pour le gamin que j’ai été, celui qui est tombé amoureux du medium BD. Calvin & Hobbes commençait à être publié dans la presse américaine, je devais avoir 8 ou 9 ans.
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Comment avez-vous imaginé l’univers de Space Boulettes avec ses trailer parks spatiaux?
C’est la version ouvrière de la science-fiction ! Il n’y a rien de techniquement précis à propos du voyage dans l’espace. C’est davantage basé sur le Midwest d’où je viens, la culture des bûcherons ou des fermiers du Wisconsin. Le concept des camionneurs de l’espace vient de ma vision de Star Wars. Enfant, j’étais davantage intéressé par les détails domestiques sans intérêt que par les batailles épiques. Je voulais savoir ce que Luke et son oncle mangeaient, j’aimais le côté cosy du Millenium Falcon.
Au-delà de Star Wars, Space Boulettes adresse des clins d’œil aux blockbusters des 80’s…
Il y a un peu de tout ce que j’aimais gamin : Ghostbusters, the Goonies, etc. Et beaucoup des Dents de la mer, maintenant que j’y pense. Pour moi, c’est le meilleur Spielberg de tous les temps avec sa narration classique et ses trois personnalités opposées mises dans une situation extrême. La relation entre ces trois personnages est plus intéressante que la menace du requin. Comme Alien, je le revois chaque année et les deux films signifient différentes choses à chaque vision. Je pourrais aussi parler d’E.T. La science-fiction n’y est pas aussi importante que ça, il s’agit d’abord d’une histoire de famille.
Votre intrigue tourne autour du recyclage des excréments de baleines (!). Une manière de sensibiliser les jeunes lecteurs à l’écologie ?
Comme mon père était plombier, il était déjà très sensible à la gestion des déchets. D’abord, je pense que la nouvelle génération de kids est bien plus consciente de l’environnement que la précédente et je ne veux surtout pas paraître moralisateur. C’est sûr que la métaphore absurde du caca de baleine constitue un amusant tremplin pour initier des conversations autour de l’écologie. J’ai vécu ça dans les écoles qui m’ont reçu aux Etats-Unis. « Y-a-t-il un équivalent dans notre société ? Quelque chose dont nous sommes dépendants et qui est aussi destructeur ? ».
(« Space Boulettes » par Craig Thompson)
Vous citez Moby Dick de Melville, une influence évidente ?
J’adore ce livre pour son côté sinueux, décousu. Il est aussi très amusant, pour moi les deux premiers chapitres sont presque comme de la comédie burlesque ! Et puis il y a ces réflexions sur la crise d’énergie et l’exploitation de la nature…
Au centre de Space Boulettes, on trouve la jeune héroïne Violette et ses parents. Une famille équilibrée, une nouveauté dans votre bibliographie où l’on rencontre plus souvent des dysfonctionnements familiaux…
Je n’ai pas d’enfant mais deux amis à moi ont eu une fille. Dès qu’elle est née il y a cinq ans, elle a été ma muse : « Ok, elle sera la star de ma prochaine BD ». Tous les trois, ils semblent constituer une unité familiale idéale et magique, ils m’ont donné espoir en cette institution qu’est la famille. L’idée que les gens puissent conserver leur identité et leur créativité tout en étant parents et partenaires, ça a été une énorme révélation.
(« Space Boulettes » par Craig Thompson)
Dans Blankets, vous avez raconté avoir grandi dans une famille fondamentaliste. La religion est-elle toujours présente dans votre vie ?
Je ne pense pas qu’elle puisse disparaître de ma vie, mes parents sont toujours très religieux, mais mon sens de la spiritualité fluctue d’une période à l’autre.
Vous êtes nés le même jour (mais pas la même année) que Leonard Cohen. Un modèle pour vous ?
Totalement. Très récemment, je me suis d’ailleurs dit que je devrais apprendre comme lui la méditation. Ça vient du fait que j’approche de la quarantaine mais aussi que, après avoir vécu vingt ans à Portland, je me suis installé à Los Angeles qui est un peu le centre mondial de la philosophie new age. C’est ma prochaine grande phase : explorer le bouddhisme et le côté zen des choses.
Vous vous acclimatez à L.A. ?
La ville a des défauts évidents – la circulation et la vie chère – mais aussi des aspects géniaux. Il y a plein de carburant créatif, là-bas. Après avoir longtemps été fermé à cette idée, je travaille avec des gens du cinéma sur une adaptation en film de Blankets. Pour l’instant, les gens avec qui je parle adoptent une approche artistique indie, il n’y a pas le brouhaha absurde des gros studios. C’est prometteur.
Il paraît que vous avez entamé une collaboration avec Edmond Baudoin. Pouvez-vous nous en dire plus ?
C’est un peu dans les limbes, on peut partir dans plein de directions. Nous avons passé deux mois ensemble, à voyager et dessiner. Nous n’avons pas encore d’histoire mais déjà des centaines de pages de dessins ! Comme nous ne parlons pas du tout la langue de l’autre, nous communiquons par dessins interposés. Mais, maintenant, nous entrons dans une phase où nous avons besoin de traducteurs si on veut que le livre se fasse. Nous allons voir où ça nous mène.
Craig Thompson, Space Boulettes, édition Casterman
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