La relation en demi-teinte entre un jeune adulte et un quinqua liés par le travail. Un récit pudique et d’une infinie finesse.
Dans L’Eté des Bagnold (2013), Joff Winterhart scrutait avec justesse les relations malaisées entre un ado et sa mère célibataire (lire un extrait ici). Dans Courtes distances, le Bristolien met à nouveau en scène un duo au fonctionnement bancal. Sam, 27 ans, sort d’une dépression. Angoissé, timide, il ne sait pas quoi faire de sa vie et habite chez sa mère, qui lui trouve un job.
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Il s’agit pour Sam d’accompagner Keith Nutt, un vieux briscard dont le travail dans les systèmes de filtrations consiste principalement à sillonner en voiture leur petite ville, pour faire signer des papiers à des gens – c’est du moins ainsi que Sam le voit, l’album étant raconté de son point de vue. Sam n’a pas grand-chose à faire, à part tenir compagnie à Keith et écouter ses histoires de jeunesse.
Des personnages un peu pathétiques dépeints avec empathie
Tout les sépare : buts professionnels, vision du travail et de la vie en général, références culturelles… Pourtant, petit à petit, une connivence se crée. Sam s’attache à Keith et apprend à connaître son monde. Il semble même s’épanouir dans cet environnement routinier mais rassurant. Keith de son côté lui fait confiance (il lui laisse promener sa petite chienne). Mais leur relation est fragile.
Avec son dessin précis et ses dialogues justes, son sens de l’observation et du détail, Joff Winterhart est un fin portraitiste. Les gestes de ses personnages, leurs particularités physiques (comme la coupe impeccable de Keith) trahissent leur personnalité. Leurs regards expriment à merveille leurs hésitations, leurs difficultés à communiquer, leur gêne, leur timidité, les regrets, les non-dits.
Tous deux sont un peu pathétiques mais Joff Winterhart les dépeint avec beaucoup d’empathie et rend tout aussi attachant le jeune loser fragile à la dérive que le bougon vieux jeu qui rabâche ses anecdotes. Le personnage de Keith possède notamment une passionnante ambiguïté.
Des portraits doux-amers et réalistes de deux manières d’être seul
Bien qu’il paraisse solide et content de son boulot, il fuit les relations et son passé et on ne sait jamais vraiment s’il est lui-même convaincu par son personnage de vieux sage à qui on ne la fait pas. Joff Winterhart, pudique, ne lève jamais le voile et le mystère demeure.
Cette pudeur, l’auteur l’applique aussi aux thématiques qui traversent le récit. Joff Winterhart s’interroge avec délicatesse sur la filiation à travers la relation, maladroite mais profonde, qui se crée entre Sam, dont le père est absent, et Keith, sans famille et désireux de transmettre son expérience.
L’auteur confronte aussi avec tact deux façons de vivre la solitude – Keith fait comme si elle n’existait pas ; Sam, plus lucide, l’assume. Réussissant à dépeindre l’ordinaire avec une immense sensibilité, brossant intelligemment des portraits doux-amers et réalistes, Joff Winterhart confirme sa place d’auteur britannique à suivre.
Courtes distances (Çà et Là), traduit de l’anglais par Martin Richet, 128 p., 24 €
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