Des nouvelles inédites et la sortie en poche de sa correspondance livrent les secrets de fabrication des grands romans de Dashiell Hammett, de La Moisson rouge au Faucon maltais. Et révèlent les obsessions d’un homme sensible et complexe.
“Je suis ravi que vous ayez aimé Le Faucon maltais, écrit Dashiell Hammett à son éditeur en 1929, mais navré de votre rejet du passage où ils vont au lit et des allusions homosexuelles. J’aimerais bien qu’on n’y touche pas, surtout parce que vous avez déclaré ‘qu’on pourrait les garder si on était dans un roman normal’. Le seul reproche qu’on puisse faire quant à leur utilisation dans un roman policier est que personne n’a jamais essayé. J’aimerais bien essayer.”
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Dès ses débuts, c’est ce qu’aura recherché Dashiell Hammett : 1. innover – ce qu’il aura réussi en inventant un genre en soi, le polar “hard-boiled”, via la création de deux privés, Continental Op et Sam Spade, aux prises directes avec le crime et l’action, contrairement aux enquêteurs cérébraux du roman policier anglais à la Agatha Christie ; 2. sortir le roman policier du ghetto “littérature de genre” pour lui donner les mêmes lettres de noblesse que la “vraie” littérature.
Quelques tonnes de nouvelles
Ce vœu vient d’être réalisé par sa traductrice, Natalie Beunat, et l’éditeur Aurélien Masson : les nouvelles inédites de Dashiell Hammett sortent aujourd’hui dans la collection Du monde entier de Gallimard, et non dans la Série noire. Des nouvelles, le père du roman noir moderne, qui allait influencer Raymond Chandler, James Ellroy et bien d’autres, en écrivit quelques tonnes.
Né en 1894, tuberculeux dès son plus jeune âge, Dash se voit forcé d’arrêter de travailler après avoir passé six ans dans une agence de détectives privés.Cette expérience professionnelle aussi bien que magistrale leçon sur la psyché et la condition humaines, le jeune homme va la mettre à profit en pondant dès 1921 des nouvelles au kilomètre pour la revue Black Mask, véritable pépinière de talents du polar – c’est là aussi qu’il publiera son premier roman La Moisson rouge (1929) en feuilleton, puis les autres.
Ses lettres en témoignent : l’homme passe sa vie à courir après l’argent
Ses lettres, d’abord publiées chez Allia en 2002, rééditées en poche aujourd’hui, en témoignent : l’homme passe sa vie à courir après l’argent. D’abord parce qu’il vient d’épouser son infirmière, Josephine Dolan, et se retrouve père de deux fillettes ; enfin parce qu’il divorce de Josephine pour passer le reste de sa vie avec la dramaturge Lillian Hellman, rencontrée dans une soirée à Hollywood en 1930.
Les nouvelles du Chasseur et autres histoires sont rangées par cahiers thématiques. Chaque thème abordé faisant partie des obsessions déployées dans son œuvre : “Le Monde du crime”, “Des hommes”, “Des hommes et des femmes”, mais aussi “Scénarios” (Hammett sera d’ailleurs embauché comme scénariste par la MGM après le succès de l’adaptation en 1934 de son roman au cinéma, The Thin Man (L’Introuvable), avec William Powell et Myrna Loy dans les rôles de Nick et Nora Charles).
Le goût de l’occulte
Si la dernière nouvelle, “Tout le monde sait manier un couteau”, met déjà en scène son privé le plus célèbre, Sam Spade, c’est tout l’ensemble du recueil qui contient les fantômes des sujets qu’il abordera dans ses romans, comme si l’écrivain s’y échauffait, traçait les esquisses de ses textes les plus amples.
Dans “Pari gagné”, on retrouve une histoire de vol de bijoux qui inspirera Le Faucon maltais, ainsi qu’une légèreté et un humour très dandy (on n’est jamais loin de P. G. Wodehouse) qui se développera dans L’Introuvable.
Dans “De la magie”, autour d’un sorcier qui se dit charlatan mais parvient à faire apparaître des démons lors de cérémonies, et qui tournera franchement au fantastique quand une créature monstrueuse, dotée d’une multitude de têtes, se manifestera, on reconnaît le goût de l’auteur pour l’occulte, dont il fera l’axe central de Sang maudit.
Une époque puritaine méprisée
Mais les nouvelles les plus étonnantes sont celles de “Des hommes et des femmes”, qui explorent les liens entre les sexes dans une époque puritaine et bourgeoise, qu’Hammett – qui s’engagera dans le communisme au point d’être mis au ban de Hollywood, de voir ses livres disparaître des bibliothèques publiques, d’être harcelé et jeté en prison – méprisait.
Notamment la très subtile “Week-end”, qui n’a strictement rien de policier, où l’écrivain se glisse dans la peau d’une femme pour mieux dire sa frustration, ses sentiments, son indépendance, et à la fin les mensonges qu’elle se servira à elle-même.
La plus autobiographique
Mildred, une jeune femme qui vit avec sa mère, décide de rejoindre son amant à San Francisco le temps d’un week-end : sa mère le lui reproche au nom des conventions, le trajet en train est épouvantable, l’amant ne se montre guère empressé et une migraine tenace ajoute à l’impression douce-amère de ces vingt-quatre heures travaillées par le doute.
A-t-elle bien fait ? Est-ce bien une histoire d’amour, comme elle se l’est répété pour accepter de passer deux jours dans le lit de cet homme ? Et lui-même, en avait-il tellement envie, ou ne s’est-elle pas plutôt illusionnée ? La conclusion, “De toute ma vie, je ne me suis jamais autant amusée”, sonne comme un mensonge de plus pour ne pas s’effondrer face à la vacuité de son existence.
C’est peut-être, paradoxalement, la plus autobiographique des nouvelles d’Hammett. Si vanité, désenchantement, cynisme, courent dans ses nouvelles et tous ses romans, dans la vie, Dash les noyait sous des flots d’alcool et un humour cinglant. Peut-être pour se faire croire que, lui aussi, s’amusait follement.
Le Chasseur et autres histoires (Gallimard), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Natalie Beunat, 384 pages, 22 €
Un type bien – Correspondance 1921-1960 (Points), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Natalie Beunat, 736 pages, 9,50 €
à lire ausi Terreur dans la nuit – Dix nouvelles horrifiques présentées par Dashiell Hammett (Fleuve Editions), 224 pages, 14,90 €
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