Le·la jeune écrivain·e Kae (et non plus Kate) Tempest signe un texte hybride, entre essai et autobiographie, qui rappelle la valeur de la création comme puissant instrument de partage et de réinvention.
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C’est le récit très émouvant d’une naissance. Débuté comme un essai salutaire pour nous rappeler combien l’art est essentiel dans toute société, Connexion glisse peu à peu vers l’autobiographie. Et Kae Tempest raconte très simplement son expérience.
Elle s’appelait Kate quand elle a annoncé, en 2020, vouloir désormais se définir en tant que personne non-binaire et changer son prénom pour Kae. Connexion est son premier texte publié depuis, et c’est aussi le premier texte de non-fiction de ce·cette jeune écrivain·e et performeur·euse britannique, venu·e du monde du rap. Né·e en 1985, à Londres, Tempest a commencé à se produire sur scène dès 16 ans, avant d’être reconnu·e comme poète·esse à part entière – iel a été la plus jeune lauréat·e du prix Ted Hughes en 2013. En France, ses poèmes sont publiés chez L’Arche et, en 2018, les éditions Rivages ont traduit son roman Ecoute la ville tomber.
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Connexion sonne étrangement en ces temps de théâtres fermés car Tempest cherche, avec beaucoup de sincérité, à nous expliquer ce qu’iel a un jour découvert et qui a changé sa vie : l’art est un moyen de se “connecter” aux autres – c’est le terme employé – et à soi-même. Iel raconte : “Je nourris avec ma propre créativité une relation bizarre et passionnée depuis mes 12 ou 13 ans, une époque où je souffrais de troubles psychologiques, où je me débattais avec un cerveau qui me menait la vie dure, des soucis familiaux et une dysphorie de genre, en m’assommant à coups de drogue et d’alcool.”
Sortir du chaos
Il est fascinant de lire ce que Tempest dit de sa pratique artistique, qui consiste non seulement à écrire de la poésie mais surtout à la dire en public, reliant ainsi l’ultramodernité de ses textes à des rituels très anciens. Tempest a surtout la particularité de s’être produit·e dans des bars de nuit comme dans des galeries d’art contemporain. Le·la surdoué·e analyse avec une lucidité acérée cette expérience singulière. Son texte pose des questions de fond – comment être certain·e de progresser ? – et n’hésite pas à railler le snobisme du milieu littéraire britannique.
Mais ce livre est à retenir avant tout pour la beauté de certains passages, lorsque Tempest se raconte sans fard et insuffle dans sa phrase l’énergie brute de son écriture poétique. Iel confie ses moments d’angoisse, réfléchit à son besoin de se produire sur scène quand iel était ado et perdu·e : “Oui, j’écris pour ces autres qui me ressemblent. Ces autres qui n’ont pas trouvé leur place, et qui ne l’ont jamais trouvée.” Iel montre ainsi comment son travail d’artiste lui a permis de se définir tel·le qu’iel a envie d’être et de sortir du chaos. L’expérience de Tempest le confirme : l’art peut littéralement sauver une vie.
Le mois prochain, un autre livre sera traduit en français, Etreins-toi, un recueil de poèmes dans lequel est revisité le mythe de Tirésias, jeune garçon transformé en femme par Héra. Kae Tempest en a fait un conte moderne et, là encore, la précision abrupte de ses mots force l’admiration.
Connexion (Editions de L’Olivier), traduit de l’anglais par Madeleine Nasalik, 150 p., 14,50 €. En librairie le 8 avril
Etreins-toi (L’Arche/“Des écrits pour la parole”), édition bilingue, traduit de l’anglais par Louise Bartlett, 224 p., 16 €. En librairie le 6 mai
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