Sorti il y a plus d’un siècle, le « Petit bréviaire du parfait féministe » et sa dénonciation des clichés sexistes est réédité avec des illustrations de Pénélope Bagieu. Et semble étrangement actuel…
Les arguments compilés dans ce petit recueil ont 105 ans. Pourtant, certains d’entre eux n’ont pas pris une ride. Pour sa réédition prévue le 25 février 2015 chez Autrement, ce Petit bréviaire du parfait féministe, signé du journaliste, essayiste et romancier Jean Joseph-Renaud (1873-1953), se voit enrichi des illustrations de la dessinatrice Pénélope Bagieu, auteure de Ma vie est tout à fait fascinante.
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En 1910, la femme française n’a pas le droit de vote et le mariage ne lui octroie quasiment aucun droit, selon la définition du Code civil d’alors. Le Petit bréviaire a le mérite de nous rappeler que les clichés sexistes ont la peau dure.
Jean Joseph-Renaud fait reposer son bréviaire sur un système d’objections et de réponses, entre les clichés de l’époque et ses propres convictions profondément féministes ;
“La place de la femme est au foyer avec son mari et ses enfants” et “Pour éviter toute concurrence, les métiers masculins devraient être interdits aux femmes”
“Alors qui raccommodera les chaussettes ? Et décrassera les enfants ?” ironise l’auteur dans une injonction qui n’est pas sans rappeler la finesse de Laurent Fabius envers Ségolène Royal un siècle plus tard.
Jean Joseph-Renaud plaide en faveur de l’éducation mixte, d’un travail féminin rémunéré, de l’égalité des salaires et de l’égalité des droits. “En ce moment, presque partout, pour un travail absolument semblable, la femme reçoit de un cinquième à moitié moins que l’homme.” Non contente d’être moins payée, il est de mise que seule la “femme du peuple” puisse aller travailler – la bourgeoise, elle, reste au foyer.
En 1910, la femme qui insiste pour aller travailler doit s’en tenir aux métiers que l’homme lui laisse, principalement dans l’industrie du vêtement. Joseph-Renaud réclame le droit au travail et au choix de la profession pour toutes les femmes. Un droit qui leur permettrait d’accéder à “la libération matérielle, la dignité de ne dépendre que d’elles-mêmes, au sort des enfants davantage assuré et à la régénération du mariage”.
“Quand la femme aura son indépendance économique, elle ne voudra plus se marier”
“Alors, selon vous, le mariage est si désagréable pour la femme, qu’elle s’y soustraira dès que, grâce à son labeur justement rémunéré, il ne sera plus obligatoire pour elle ? Cette crainte, qui constitue un aveu éloquent, est sans raison” affirme l’auteur. Convaincues par la force de l’éternel amour, les féministes de Jean-Joseph Renaud conservent toujours un fort appétit pour l’union légale qui, si elle les “infériorise abominablement” n’en reste pas moins plus sécuritaire et réconfortante qu’une union libre. Une condition, cependant, et pas des moindres : “Leur indépendance économique s’accompagnant forcément de leur émancipation civile, [les femmes] entreront dans le mariage d’autant plus volontiers qu’elles y auront les mêmes droits que l’époux.” A l’époque, l’écrivain ne constate pas l’existence de ces droits. Qu’à cela ne tienne, il les propose dans son Bréviaire du parfait féministe, en réexaminant les lois du mariage.
“Mais la femme est faible ; elle a besoin de protection ! Dans son intérêt, laissons-la sous la puissance maritale !”
Un grand pas pour le féminisme serait de modifier les lois du mariage établies par le Code civil, selon Joseph-Renaud. “Il en a intensément besoin !”, notamment après le passage de Napoléon. C’est en effet à l’empereur que l’on doit plusieurs des monstrueuses injustices en faveur de l’homme qui s’y trouvent. “Bien des épouses n’ont-elles pas à s’apercevoir que le mariage est en France scandaleusement à l’avantage de l’époux – et que, si celui-ci ne dédaigne pas, ne corrige pas la loi, le sort de la femme dans ce cher foyer peut être abominable !” écrit l’auteur. Pour appuyer ses propos, il propose de nombreux extraits du Code civil appliqué en 1910, depuis mis à jour. Et ne manque pas d’épingler la “puissance maritale” qui y est martelée. Sélection non exhaustive.
• “Le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari” (Art. 213)
• “La femme est obligée d’habiter avec le mari et de le suivre partout où il juge à propos de résider” (Art. 214)
• “Le mari administre seul les biens [de l’ensemble du couple]. Il peut les vendre, aliéner, hypothéquer, sans le concours de sa femme.” (Art.1421)
• “L’enfant reste jusqu’à sa majorité ou son émancipation sous l’autorité de son père et sa mère. Le père exerce seul cette autorité.” (Art. 372)
La solution, pour Jean Joseph-Renaud tient dans la réécriture d’un mariage, devenant “aussi peu coûteux que possible”, où les époux ont strictement les mêmes droits. Le divorce doit lui aussi devenir une séparation digne, et non une “abominable comédie”.
Jean Joseph-Renaud, Cyrano des temps modernes
Dédié à la féministe Marguerite Durand (1964-1936), cet ouvrage anciennement baptisé Catéchisme féministe (à sa parution en 1910), raconte une époque politique où l’on reprochait à la femme ses adultères potentiels (passibles de deux ans de prison contre une absence de peine pour l’homme). Une époque où la femme ne pouvait ni voter, ni accéder aux mêmes droits que l’homme “puisqu’elle ne fait pas de service militaire”.
A interpréter, donc, avec malice et recul, ironie et intelligence, le Petit bréviaire du parfait féministe est rafraîchissant dans tous les sens du terme: il pointe du doigt les usages modernes de notre société que l’on pourrait encore modifier en vue de combattre le sexisme, mais rappelle aussi à notre souvenir une époque heureusement révolue. Du moins, en partie.
Petit bréviaire du parfait féministe, Jean Joseph-Renaud, illustrations de Pénélope Bagieu. Editions Autrement. Sortie le 25 février 2015.
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