Dans un livre-enquête des journalistes Marine Turchi et Mathias Destal, l’ascension fulgurante d’anciens membres du Groupe Union Défense (GUD) dans l’équipe rapprochée de Marine Le Pen est décrite par le menu. Mettant à mal la prétendue « dédiabolisation » du FN.
« Les historiques n’en peuvent plus ! Il va y avoir un retour de boomerang… » Sous couvert d’anonymat, un membre du bureau politique du FN tire la sonnette d’alarme, levant le voile sur un parti plus fractionné qu’il n’y paraît. Les raisons de son désarroi ? La place grandissante acquise dans l’entourage de Marine Le Pen par deux groupes de nouveaux venus : les proches de Florian Philippot et les anciens « gudards », jadis membres de l’organisation étudiante d’extrême droite Groupe Union Défense (GUD), bras armé d’Ordre nouveau dans les années 1970. Un livre-enquête des journalistes – respectivement à Médiapart et à Marianne – Marine Turchi et Mathias Destal, Marine est au courant de tout… (éd. Flammarion) détaille par le menu l’ascension de ce dernier groupe au sein de l’appareil frontiste, ses réseaux, ses « affaires », et le passif politique souvent lourd de ses protagonistes, contradictoire avec la stratégie dite de « dédiabolisation ».
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
« Alain Soral, c’est un punk, comme Dieudonné »
Ces hommes de l’ombre fuient tant que faire se peut la lumière. Philippe Péninque, ancien avocat fiscaliste de 64 ans, dirigeant du GUD à partir de 1975 et conseiller officieux de Marine Le Pen, est d’ailleurs le seul ex-gudard à avoir accepté de leur parler. La patronne du FN l’a rencontré par l’intermédiaire de son amie d’enfance Marie d’Herbais, ex-épouse de Frédéric Chatillon, lui-même à la tête du GUD à partir de 1992, que Marine Le Pen a connu lorsqu’elle était étudiante à Assas.
En 2012 déjà, Péninque s’était rendu en Russie pour préparer le premier voyage à Moscou de Marine Le Pen. A l’approche de l’élection de 2017, il fait son retour près de Marine Le Pen, lors d’un séminaire organisé par le FN à huis clos en février 2016, dans l’Essonne, où il plaide pour convaincre les classes aisées de voter pour le Front. Mais qui est Philippe Péninque ?
Condamné plusieurs fois pour violence, il revendique s’être « battu tous les jours entre 1968 et 1975 ». Proche de l’idéologue d’extrême droite Alain Soral (il a rédigé les statuts de son site, Egalité & Réconciliation), il refuse de condamner ses propos antisémites, estimant qu’« Alain, c’est un punk, comme Dieudonné ». De la même manière, il couvre le folklore nazi de ses héritiers au GUD, aujourd’hui en responsabilité au FN.
Soirées Hitler : un »humour dé-va-sta-teur »
Les auteurs évoquent notamment l’admiration du conseiller régional FN Axel Lousteau pour l’ancien Waffen SS belge Léon Degrelle, qui lui a dédicacé un livre en 1992. Simple célébration du « génie de l’homme politique » pour Péninque. De même, quand les gudards organisaient des soirées « pyjamas rayés » en référence aux tenues de déportés juifs, le « gourou » de Marine Le Pen élude, prétextant un« humour dé-va-sta-teur ». Quant au fait que Frédéric Chatillon, homme clé du financement du FN, ait été repéré par la police en train de fêter l’anniversaire d’Hitler en 1992, il balaye d’un revers de main : « un gimmick, c’est du même type que Gainsbourg brûlant un billet de 500 ».
Ces références culturelles n’ont pas été abandonnées par les gudards lorsqu’ils sont arrivés au FN. Les auteurs exhument un post Facebook de Frédéric Chatillon en 2009, où il évoque la « fine équipe du 30 avril », jour du suicide d’Hitler. Tandis qu’un des comptes d’Axel Lousteau prétend être né le 20 avril (date de naissance d’Hitler). Un témoin confie qu’ils sont clairement nostalgiques du nazisme :
Ce témoin, ex proche des membres du GUD #FN, les accuse d’être nostalgiques du nazisme #EnvoyeSpecial pic.twitter.com/NmsXqdYib4
— Envoyé spécial (@EnvoyeSpecial) 16 mars 2017
Un passé de cogneur qui a rattrapé Axel Lousteau en 2013
Suivant la stratégie de Philippe Péninque depuis 1993, ces anciens « rats noirs », comme les gudards se surnommaient, sont désormais à la tête de sociétés de communication et de sécurité qui se mettent au service du FN. C’est le cas de Riwal, ou de Vendôme Sécurité, qui a remplacé le traditionnel service d’ordre du parti (le DPS) à partir de 2011. « Vous êtes des géants militaires, mais des nains politiques. […] Maintenant, […] il faut devenir puissant, exister », leur avait ordonné Péninque. C’est réussi, mais avec quelques bémols.
Le passé de cogneur d’Axel Lousteau l’a rattrapé pendant la Manif pour tous en 2013, où il a mis un coup au visage d’un membre du service d’ordre de l’organisation, puis a insulté des policiers, entouré de jeunes du GUD. Le 23 avril 2013, il a été interpellé et menotté avec un casque sur la tête.
https://www.youtube.com/watch?v=D6ajPnlXIRk
« Je peux compter sur eux à la vie à la mort »
De plus, sur les cinq enquêtes judiciaires visant le FN, ses dirigeants, ses micro-partis ou ses proches, quatre concernent d’anciens gudards.
Axel Loustau se serait enrichi avec l'argent du contribuable via Presses de France #Riwal #Jeanne #FN ##EnvoyeSpecial pic.twitter.com/cZ1EvsGGgk
— Envoyé spécial (@EnvoyeSpecial) March 16, 2017
Pourtant, Marine Le Pen n’a pas l’intention de s’en éloigner. « Je peux compter sur eux à la vie à la mort », aurait-elle confié à son ancien chef de cabinet, Philippe Martel. Plusieurs d’entre eux devraient être investis pour le FN aux législatives : Axel Lousteau à Asnières, Jean-Lin Lacapelle (actuel secrétaire général adjoint du FN, très proche du GUD dans sa jeunesse à Lyon), à Vitrolles, tandis que Frédéric Chatillon pilote actuellement le volet communication web et papier de la campagne de Marine Le Pen.
« Les frontistes classiques en ont marre, beaucoup ne mettent pas un pied [au QG de campagne] », lâche un membre du Comité stratégique de campagne de Marine Le Pen. Leur présence urticante semble paradoxale à l’heure de la dédiabolisation. L’ex-membre du FN Aymeric Chauprade, affirme ainsi : « Marine Le Pen n’est pas libre, elle est tenue par ces gens. Si elle arrive au pouvoir, ces gens seront le pouvoir ».
« Marine Le Pen n’est pas libre, (…) si elle arrive au pouvoir, ces gens seront le pouvoir » pour Aymeric Chauprade #FN #EnvoyeSpecial pic.twitter.com/OnvIdbEMsb
— Envoyé spécial (@EnvoyeSpecial) 16 mars 2017
Marine est au courant de tout..., de Mathias Destal et Marine Turchi, éd. Flammarion, 300 p., 21 euros
{"type":"Banniere-Basse"}