Dans un livre-enquête, l’écrivain Mathieu Larnaudie décrypte comment Emmanuel Macron et ses camarades de promotion à l’ENA se sont imposés dans toutes les institutions de l’État.
Quels sont les trois points communs entre Emmanuel Macron, Boris Vallaud, Gaspard Gantzer, Mathias Vicherat (le numéro 2 de la SNCF) ou Amélie Verdier (directrice du budget de l’APHP) ? Ils ont à peine 40 ans, occupent ou ont occupés des postes parmi les plus prestigieux de la République française et, surtout, ont fait partie de la même promotion au sein de l’École nationale de l’administration et son célèbre acronyme, l’“ENA”.
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“Chaque Français déteste les énarques tout en souhaitant que ses enfants le deviennent”
Depuis sa création en 1945, au lendemain de la fin de la Seconde Guerre mondiale, pour démocratiser l’accès à la haute fonction publique, l’ENA n’a eu de cesse d’alimenter “les fantasmes et les rancœurs, s’offrant comme foyer de fascination aussi bien que comme cible privilégiée des critiques”, écrit Mathieu Larnaudie. Un sentiment résumé par le journaliste Michel Schifres : “Chaque Français déteste les énarques tout en souhaitant que ses enfants le deviennent.”
Dans son livre, Les Jeunes Gens, enquête sur la promotion Senghor de l’ENA, l’écrivain tente de comprendre comment ces têtes bien faites (Amélie Verdier serait par exemple “capable de mener plusieurs opérations mentales simultanées”), ces personnes qui “donnent l’impression de toujours penser à la phrase d’après”, s’impose naturellement à la tête des institutions républicaines. “La proximité générationnelle a-t-elle une incidence réelle sur les réseaux auxquels ils appartiennent, sur les fonctions qu’ils occupent, sur les institutions qui les recrutent et, in fine, sur la marche du pays ?, s’interroge l’auteur faussement crédule. Ou bien cet effet prétendu n’est-il qu’une reconstruction artificielle a posteriori, une manière de fabriquer, justement, une petite mythologie à bon compte – une vue de l’esprit ? »
Comme le précise Larnaudie : “Plus qu’une école, l’ENA est le conservatoire de notre noblesse d’Etat.” Au fil des pages, l’auteur prend un plaisir non dissimulé à dévoiler l’histoire personnelle de plusieurs de ses membres, pour confirmer cette assertion. Marguerite Bérard-Andrieu, major de la promo, est elle-même la fille de deux énarques et mariée à un camarade de promo (Thomas Andrieu). Ce dernier est lui aussi fils d’un énarque devenu préfet. Amélie Oudéa-Castera a elle épousé un autre énarque, Frédéric Oudéa (promo Fernand Braudel, 1985-1987). Amélie Verdier, fille d’énarque a elle aussi épousé un énarque. Quant à Sébastien Veil, il porte en lui cet héritage : ses deux grands-pères sont énarques et l’une de ses grands-mères à donné son nom à une promotion (Simone Veil 2004 – 2006).
“Je pense que je vais être ministre, veux-tu être mon dircab ?”
Plus qu’une scolarité, le passage à l’ENA est un sésame. Lucide, Rami Adwan, le nouvel ambassadeur du Liban en France, lui aussi de la promo Senghor explique que “la vraie formation de l’ENA réside plus dans l’état d’esprit qu’elle insuffle à ses titulaires, dans les portes qu’elle leur ouvre, que dans les connaissances qu’elle leur apporte.”
L’auteur abonde, sans cynisme : “On a le sentiment que tout est fait pour leur permettre de se rencontrer, de poser les premiers jalons d’amitiés et d’intérêts utiles à leur future carrière, plutôt que pour encombrer ces têtes déjà bien remplies d’un bachotage superflu.” Sans cynisme non plus, Étienne Grass reconnaît que l’ENA “[lui a] fait gagner quinze ans de carrière.” Camarade de Boris Vallaud au sein de la promo Senghor, il raconte sans ombrage comment la femme de ce dernier l’appelle un jour de mai 2012 : “Je pense que je vais être ministre, veux-tu être mon dircab ?”
Si l’on n’apprend pas grand-chose sur Emmanuel Macron, tête de gondole de la promo Senghor, mis à part qu’il a une “excellente connaissance du répertoire de la chanson française”, qu’”il peut tout faire” car “il est bon partout” et, qu’en plus, “il a énormément d’humour” tout en étant doté “d’une sorte d’empathie naturelle”, ce livre mérite lecture.
Mathieu Larnaudie ne tombe dans aucun piège : ni celui de l’admiration ni celui du rejet de ces pschutteux. Comme il le résume en épilogue : “Mener une enquête parmi les membres d’une promotion de l’ENA revient à naviguer au milieu des signes, et se sentir pris dans une sorte de grand jeu d’échecs verbal dont les joueurs s’affrontent à travers vous. Les informations qu’ils distillent, les amitiés qu’ils mettent en avant, les inimitiés qu’ils taisent ou laissent sous-entendre, tout concourt à vous donner l’impression d’être le témoins de plans tactiques qui vous dépassent.”
Mathieu Larnaudie, Les Jeunes Gens, enquête sur la promotion Senghor de l’ENA, Grasset, 2018.
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