“Je ne suis pas vaniteuse. Je sais utiliser la vanité des hommes.” Tout est dit en douze mots, ou presque. Un mantra que n’a jamais cessé d’appliquer Angela Merkel tout au long de sa carrière politique, alors qu’elle brigue un quatrième mandat le 24 septembre. Si l’apparente simplicité sied à merveille à cette scientifique de […]
En quinze ans, Angela Merkel est passé de la communication d’un petit parti d’opposition à la RDA à Chancelière de l’Allemagne réunifiée. Avec méthodologie, calme et sang froid mais en se montrant également capable d’assassiner politiquement les membres de son propre parti, la scientifique est-allemande est devenue la femme la plus puissante du monde. Alors qu’elle brigue un quatrième mandat le 24 septembre, elle fait l’objet d’une biographie très instructive.
« Je ne suis pas vaniteuse. Je sais utiliser la vanité des hommes. » Tout est dit en douze mots, ou presque. Un mantra que n’a jamais cessé d’appliquer Angela Merkel tout au long de sa carrière politique, alors qu’elle brigue un quatrième mandat le 24 septembre. Si l’apparente simplicité sied à merveille à cette scientifique de formation, raillée pour son apparence ou sa manie de ne jamais finir ses phrases, il ne faut pas s’y méprendre. On ne se retrouve pas désignée à dix reprises comme la femme la plus puissante du monde (par le magazine Forbes ou le Time) sans part d’ombre et de manigances. C’est à partir de ce paradoxe que Marion Van Renterghem, grand reporter au mensuel Vanity Fair et lauréate du prix Albert Londres, a choisi de raconter la vie de la “Mutti” de l’Allemagne.
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Dans Angela Merkel, l’ovni politique une biographie chronologique et instructive, on mesure le chemin parcouru de cette « madame Tout le monde », originaire de l’ex-Allemagne de l’Est. Les éléments essentiels de sa biographie sont connus : la jeune Angela Kasner, fille de pasteur, installée dans la petite ville de Templin, est une brillante étudiante, surtout en mathématiques et en russe où elle excelle. Diplômée d’un doctorat en chimie quantique, elle se destine tout d’abord à une carrière de chercheuse. C’est à l’aune de l’histoire et de la transformation de son pays qu’elle va s’engager en politique. En 1989, le mur de Berlin se fissure, ouvrant le chemin à la réconciliation et à la réunification des deux Allemagne.
« Tu sais te servir d’un ordinateur ? »
Dans une Allemagne de l’Est encore archaïque technologiquement, sa maîtrise de l’informatique lui ouvre ses premières portes. « Je m’intéresse à votre mouvement”, déclare-t-elle en décembre 1989 dans le local berlinois du « Renouveau démocratique », un groupuscule d’opposition chrétien à la RDA créé deux mois plus tôt. « Tu sais te servir d’un ordinateur ? », lui demande-t-on en guise de réponse. Méthodiquement, marche après marche, elle va tracer son chemin sur les ruines de la RDA et, un an plus tard lors de la réunification allemande. En 1990, elle est chargée de la communication du mouvement et en devient très vite la porte-parole.
Elle n’a pas le temps d’apprendre son métier qu’une crise vient frapper son camp. Trois jours avant les premières élections libres en RDA, le candidat du parti, Wolfgang Schnur, est éclaboussé par un scandale, suspecté d’avoir été membre de la Stasi. Le Renouveau démocratique prend une claque, mais le nom de la jeune Angela Merkel, auteure du communiqué dans lequel Schnur reconnaît les faits, est sur toutes les lèvres.
Cet épisode lui permet d’intégrer le premier gouvernement libre de la RDA, chapeauté par Lothar de Maizière, le président de l’Union chrétienne-démocrate de l’Est (CDU). Elle en est nommée porte-parole adjointe le 12 avril 1990. Au mois de décembre de la même année, elle entre au Bundestag, le parlement allemand et devient ministre des Femmes dans la foulée, le 18 janvier 1991. Moins de quatre ans plus tard, elle accède au portefeuille plus conséquent de l’Environnement et participe activement aux accords de Kyoto.
Une traversée du désert de quinze jours seulement
En 1998, elle connaît un trou noir après la victoire de Gerhard Schröder, du SPD rival, à l’élection au poste de chancelier. Il ne va durer que quinze jours ; le 7 novembre elle est élue avec un score digne de Moscou (92,8 % des voix) au secrétariat général de la CDU. Première femme à ce poste, Angela Merkel sent que le moment est venu d’entamer l’ascension vers la plus haute marche du pouvoir. La tâche ne s’annonce pas aisée, si elle a le vent en poupe elle ne fait pas office de candidate naturelle. C’est alors qu’une facette méconnue de la future chancelière va se dessiner sous nos yeux : celle d’une tueuse aussi froide que méthodique.
La première victime se nomme Helmut Kohl, celui-là même qui la propulsa à son premier portefeuille ministériel. Bien qu’âgé de 68 ans et comptant 16 années à la chancellerie, il ne souhaite pas passer la main. Qu’à cela ne tienne. Le 22 décembre 1999, sans prévenir personne, Angela Merkel publie une tribune dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung où, en plein scandale des caisses noires de la CDU, elle flingue : « L’avenir ne peut être construit que sur des bases solides. Le parti doit réapprendre à marcher, à croire en lui et à affronter ses adversaires politiques sans son vieux destrier. Il doit quitter ses parents comme un enfant qui a atteint l’âge de la puberté, suivre son propre chemin, et il restera toujours auprès de celui qui l’a profondément marqué… »
Une incroyable stratège politique
L’article fait sensation et emporte avec lui, en, 2000, Wolfgang Schäuble, alors président de la CDU. La voie est presque dégagée en vue de l’échéance électorale de 2002 mais face à un Gerhard Schröder plus habile que prévu, elle sait flairer le danger. Comment faire en sorte alors de se désister sans avoir l’air de se dégonfler ? Résonne une fois de plus la petite phrase résumant sa vie : « Je ne suis pas vaniteuse. Je sais utiliser la vanité des hommes. » Telle la fable du Corbeau et du Renard, Angela Merkel va aider Edmund Stoiber, le ministre-président de Bavière à plonger vers une défaite assurée à l’élection fédérale de 2002. Dans la foulée, elle obtient la présidence du parti et l’assurance d’être nommée candidate pour l’élection de 2006. Du grand art.
Elle n’aura pas à attendre les quatre ans. Plombé par une popularité en chute libre, Gerhard Schröder est contraint de convoquer des élections anticipées. Le 22 novembre 2005, Angela Merkel est élu chancelière fédérale d’Allemagne réunifiée. Depuis cette date, l’ancienne scientifique de l’ex-RDA a connu quatre présidents français (Chirac, Sarkozy, Hollande et Macron), cinq si l’on compte François Mitterrand, qu’elle a rencontré lorsqu’elle était porte-parole du gouvernement d’Helmut Kohl. Tel un roseau, elle a plié à nombreuses reprises face à la crise économique, à la crise migratoire ou encore la crise liée au terrorisme. Jamais elle n’a cédé, contrairement à ses homologues français Nicolas Sarkozy ou François Hollande, qui échouèrent tous les deux à briguer un second mandat à la présidence de la République.
S’avance-t-elle pour autant aujourd’hui vers le mandat de trop ? Elle explique avoir longtemps réfléchi, pensé à raccrocher au bon moment. Mais c’était sans compter le Brexit, la montée des populismes en Europe, le rêve de Vladimir Poutine d’une grande Russie… Autant de raisons qui l’ont dissuadée si on l’écoute. Enfin il y a cette notion d’héritage qu’elle laissera, dans quinze jours ou dans quatre ans, selon le résultat de l’élection du 24 septembre prochain. Un héritage en guise de conclusion de la part de Marion Van Renterghem l’auteure de la biographie qui, bien qu’élogieuse, n’en demeure pas moins très instructive :
“Konrad Adenauer a scellé la réconciliation franco-allemande avec Charles de Gaulle. Helmut Kohl a lancé l’euro, réunifié l’Allemagne et construit l’Europe. Gerhard Schröder a opéré les réformes douloureuses qui ont servi sa successeure. Et Angela Merkel, que laissera-t-elle ? L’ouverture aux réfugiés. L’humanisme. L’image de la seule dirigeante politique occidentale à n’être guidée ni par une stratégie à long terme ni par une vision idéologique du monde, qui ne sont d’ailleurs pas son fort, mais par des valeurs fondamentales.”
Angela Merkel, L’Ovni politique de Marion Van Renterghem (édition Les Arènes), 224 pages
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