Luc Lang revient avec avec un roman hyper ambitieux. Des Pyrénées à l’Afrique, un homme d’aujourd’hui en prise avec le monde qui l’entoure comme avec son passé intime.
C’est un livre dense, et même compact. Peu de respirations entre ces lignes, d’espaces entre ces pages, mais une phrase ample, rythmée, qui sur son passage attrape paysages, dialogues, sensations et souvenirs.
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Car ce qui caractérise la vie d’un être humain, c’est peut-être la somme d’informations contradictoires qu’il doit affronter chaque jour. Et c’est bien cette accumulation d’événements, tragiques ou heureux mais forcément imprévus, que traduit la phrase de Luc Lang, alors que son personnage se débat, se noie, résiste sous l’averse.
Remettre en question la totalité de son existence
Thomas Texier, 37 ans, cadre dans une société d’informatique, vit dans une jolie maison avec jardin, est marié et a deux jeunes enfants. Pour lui, tout va s’arrêter. Sa femme, en déplacement professionnel, est victime d’un accident de la route.
Plongée dans un coma profond, elle est entre la vie et la mort. Au-delà du malheur, l’événement va contraindre Thomas à remettre en question la totalité de son existence.
Rejoignait-elle un amant ?
Car mille questions surgissent autour de l’accident. Personne ne sait pourquoi son épouse circulait en pleine nuit sur cette départementale, qui ne correspondait pas au trajet qu’elle aurait dû accomplir. Rejoignait-elle un amant ?
On ne comprend pas non plus comment elle a pu perdre le contrôle du véhicule. La jeune femme occupait un poste exposé chez Orange, gérait de gros contrats. A-t-elle été victime d’une tentative de meurtre ?
Circonstances extrêmes
Le propre des questions est qu’elles en engendrent d’autres, et toutes n’ont pas de réponse. Thomas mène l’enquête, cherche à découvrir ce qu’il ignore du passé de celle dont il partageait la vie.
Il s’interroge aussi sur lui-même, se demande quel mari il a été. Il va chercher du soutien auprès de son frère Jean, éleveur dans les Pyrénées, leur région natale.
Pour Luc Lang, tout être humain est pris dans un réseau. Un homme est ou a été fils, frère, père, ami, époux, amant. Il est porteur d’une histoire, qu’il est libre de reproduire ou pas. Les circonstances extrêmes où se trouve Thomas lui permettent, ou plutôt l’obligent à observer sa vie sous cet angle.
Voyage initiatique
Fils de paysan, orphelin très tôt, Thomas a quitté son milieu social pour étudier puis travailler en ville. Aujourd’hui égaré, il décide de partir seul effectuer une randonnée en montagne.
Ce voyage initiatique doit lui permettre de trouver son chemin, pas après pas. Il va ensuite se rendre en Afrique, rencontrer sa sœur qu’il n’a plus vue depuis qu’elle a tout quitté pour s’occuper d’un dispensaire au Cameroun.
Le romancier tisse sa toile, passe d’une époque à l’autre
C’est au travers de l’histoire intime de Thomas que Luc Lang va décrypter le monde. Remontant dans le parcours de son héros, ses origines sociales, son mariage avec une femme plus bourgeoise que lui, le romancier tisse sa toile, passe d’une époque à l’autre, nous laissant relier différents éléments épars.
Et il inscrit cette histoire privée dans un contexte plus large, en dressant par exemple le portrait de l’entreprise où travaille Thomas. La sympathique petite start-up est devenue une machine à broyer. A l’autre bout du livre, dans une Afrique en guerre, il met en scène la responsabilité des Occidentaux.
Pas de lyrisme ici mais des descriptions précises
La force de Luc Lang, c’est de parvenir à faire tenir tout ensemble, à créer un dispositif narratif qui nous transporte des Pyrénées au Cameroun, d’un open space à un marché de Douala. C’est une écriture d’abord, limpide, charnelle, qui lui permet de dépeindre avec la même intensité les paysages de montagne et la savane.
Pas de lyrisme ici mais des descriptions précises, et beaucoup de dialogues. Lang passe tout au crible du regard et des sensations de Thomas, et offre au lecteur d’éprouver ce qu’il vit.
Et puis les événements qui surviennent au cours de cette odyssée sont rarement décrits en direct, mais plutôt racontés par les protagonistes, Lang usant à merveille de l’ellipse temporelle, nous laissant deviner après coup la façon dont les choses se sont produites. Car l’auteur cherche à échapper à une simple chronologie linéaire, opère des sauts dans le temps, passe sous silence, revient sur…
Interrogations spirituelles et même religieuses
Les éditions Stock présentent ce texte comme un “grand ‘roman américain”. Effectivement, à la façon des romanciers d’outre-Atlantique, Luc Lang inscrit son héros dans une cosmologie, lui prête des interrogations spirituelles et même religieuses. D’ailleurs, nombreuses sont les références à Cormac McCarthy, que Thomas lit en continu.
Cela dit, il semble surtout qu’il s’agisse d’un grand roman tout court, où l’auteur de Mother, Les Indiens ou L’Autoroute croise des questionnements présents depuis toujours dans son travail, tels la filiation, le monde du travail ou les liens familiaux compliqués.
Comme si l’écrivain, à l’image de Thomas, avait voulu opérer un retour sur lui-même et, dans un parcours initiatique qui serait ce roman-là, trouver son chemin, mot après mot.
Au commencement du septième jour (Stock), 544 p., 22,50 €
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