Décryptage d’un nouveau phénomène de librairie : les livres de coloriage pour adultes.
De Brest à Strasbourg, de Marseille à Lille, quand on demande à un libraire de qualité le meilleur de ses ventes, la même réponse fuse dans un festival de regards fuyants et de voix plus que basses : “Les coloriages (pause) pour adultes (silence)” Pardon ?!
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Spontanément, on suppute chez nos amis libraires un abus d’omelette aux champignons qui font rire ou les effets secondaires d’une relecture de Peyotl, My Friend. Or pas du tout. Les coloriages, mais si !, pour adultes, c’est à ne pas croire !
Dérèglements mentaux
Comme tous les raz-de-marée régressifs, la tendance nous est venue des Etats-Unis, ce beau pays qui donna naissance, entre autres dérèglements mentaux, à George W. Bush, celui-là même dont des méchants brocardaient le Q.I. en prétendant que le Président n’avait qu’un seul livre dans sa bibliothèque et qu’il n’avait pas tout à fait fini de le colorier. C’est dire que l’exemple vint du firmament de la psyché américaine et se solda par des millions d’exemplaires vendus des adult coloring pages.
En France, le filon fut activé il y a quelques années par les éditions Marabout, pionniers sur le secteur. Le succès fut là encore immédiat et fulgurant. Depuis, les plus prestigieuses maisons d’édition qui, a priori, ricanaient du phénomène, s’y adonnent à foison.
Fonds sous-marins forcément mystérieux
Mais enfin, dekoikès ? Une rapide plongée dans les nombreux catalogues dédiés nous offre un premier aperçu. Il n’y a, comme on dit, que l’embarras du choix, un choix, de fait, très embarrassant. Avec forte occurrence de motifs plus ou moins abstraits, des mandalas bouddhisants aux labyrinthes du op art.
Mais aussi, puisqu’apparemment on ne sait plus où donner du coloriage : des tags arty et des graffitis urbains, des paysages mayas et des montagnes tibétaines, des fonds sous-marins forcément mystérieux et des jardins fatalement archisecrets.
Chefs-d’œuvre de la peinture mondiale
Dernier succès des coloriages pour adultes : les héros de séries télé (Walter White de Breaking Bad ou la princesse Daenerys Targaryen de Game of Thrones) et, surtout, par définition inépuisables, les chefs-d’œuvre de la peinture mondiale : La Joconde (fatalitas !) ainsi qu’une palanquée de Léger, Klimt, Dubuffet, Rothko, etc.
Ce qui ouvre un gouffre iconoclaste qu’on n’avait pas vu venir s’il nous prenait, armé de nos petits crayons de couleur, de repeindre la période bleue de Picasso en vert pistache ou Les Tournesols de Van Gogh en fuchsia façon Hello Kitty.
La colorthérapie, ça tombe sous le sens
Cette vogue bon marché (plus ou moins 10 euros par fascicule de coloriage), s’accompagne d’une volumineuse littérature censément déculpabilisante, un gloubi-boulga psy-machin-chose d’où il ressort, le saviez-vous ?, que le coloriage est une thérapie (la colorthérapie, ça tombe sous le sens) où il n’est question que de se recentrer, s’harmoniser, voyager au cœur de soi (bon courage !).
D’autant que, tête folle, on avait occulté depuis trop longtemps que le jaune lutte contre l’angoisse, que le bleu détend l’atmosphère et que l’orange aide à la digestion. Si l’on tient absolument à détecter dans cet engouement pour le coloriage adulte un symptôme de notre épique époque opaque, admettons qu’il est à ranger et, sauf votre respect, à laisser moisir, sur la même étagère que Mon copain l’intestin, voire le tome 5 de La Joie du bonheur d’être super content.
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