Dans un récit-manifeste puissant, Cloé Korman se nourrit de son identité juive pour dénoncer la France raciste.
“Tu ressembles à une juive.” Cette phrase, qui donne son nom à l’ouvrage qu’elle vient de faire paraître, Cloé Korman se l’est entendu répéter toute son adolescence. Sa grand-mère Denise la lui envoyait à la figure à chaque fois que la jeune femme voulait lâcher en public sa chevelure bouclée. De la guerre et ses horreurs, l’aïeule, survivante de la Shoah, avait gardé “le souci d’être invisible”, un impératif “vital” qui “poursuit son œuvre d’effacement des années plus tard sur les noms, et sur les corps”. Aujourd’hui enseignante en Seine-Saint-Denis, écrivaine des marges et des minorités, Cloé Korman sait qu’elle porte en elle l’héritage de cette violence.
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A partir de cette assignation à la discrétion, focale d’un texte entre récit autobiographique et enquête dans la France d’aujourd’hui, l’autrice s’attache à déconstruire le clivage pervers que certains ont choisi d’imposer entre la lutte contre l’antisémitisme et les autres combats antiracistes. “Il n’y a pas de différence entre Juifs et étrangers dans la mentalité raciste, écrit-elle. La prospérité de ce mensonge (…) est une illusion dangereuse.”
De la carrière collaborationniste de Maurice Papon – qui fut aussi le préfet de Paris qui orchestra le massacre des Algériens le 17 octobre 1961 – à Drancy, dans le 93, plaque tournante de la déportation hexagonale devenue “le lieu de relégation” de la France pauvre et racisée, Cloé Korman s’applique à mettre en lumière la transmission, à travers les époques, des mécanismes étatiques d’oppression xénophobe pour dénoncer la création d’un discours haineux, terreau de cette poussée nationaliste qui gagne à nouveau l’Europe.
“Les crimes dont mes grands-parents ont été les témoins et les victimes se perpétuent à travers certains discours et certains silences, à travers certains faits et certaines inerties : ainsi de l’indifférence et de l’égoïsme qui ont causé la mort en Méditerranée, entre 2014 et aujourd’hui, de plus de 30 000 personnes qui n’ont pas pu trouver de refuge”, écrit Cloé Korman dans ce récit-manifeste, puissant, radical et salutaire.
Tu ressembles à une juive (Seuil), 106 p., 12 €
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