Parce qu’il n’a pas écrit que “La Métamorphose” et “Le Procès”, il est temps de se plonger dans les récits brefs de l’auteur. Voici cinq textes courts de Kafka, à lire à l’occasion du centenaire de sa mort.
Certains ont été publiés de son vivant dans des revues, d’autres de façon posthume. Dans l’œuvre monumentale de Franz Kafka, aux côtés de romans iconiques qu’on ne se lasse pas de lire et de faire lire, il y a des textes courts, et même parfois très courts, qui constituent autant de portes d’entrée dans l’univers de l’auteur de La Métamorphose. Ils ont fait l’objet, en France, d’un volume de la Pléiade, et une partie d’entre eux apparaissent dans différentes anthologies éditées en poche. Grinçants, à la limite du fantastique, ils mettent en scène des narrateurs aussi misanthropes qu’aliénés. Cent ans après la mort de l’auteur pragois, ce sont de petits bijoux littéraires qu’il est urgent de (re)découvrir.
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Blumfeld, un célibataire plus très jeune
Un solitaire acariâtre rentre chez lui comme chaque soir, dans son petit appartement maniaquement tenu, au sixième étage d’un vieil immeuble. Il découvre, à l’intérieur, deux petites balles qui rebondissent sans cesse et le suivent de pièce en pièce. Il y a sans doute plusieurs manières d’interpréter cette situation absurde qui vire au cauchemar, et on se délecte du portrait de ce petit bourgeois qui méprise le genre humain en général et en particulier sa femme de ménage, ou encore les jeunes stagiaires qu’il est doit côtoyer quand il est à son bureau. À travers ce portrait féroce, Kafka dépeint la violence des rapports de classe, mais aussi l’inadaptabilité d’un homme claquemuré dans sa solitude.
Blumfeld, un célibataire plus très jeune et autres textes de Franz Kafka. Traduit de l’allemand par Bernard Lortholary (Folio Gallimard) 96 pages, 3 €.
Grand bruit
Publié dans une petite revue d’avant-garde en 1912, cette nouvelle a été extraite par Kafka de son journal. Elle met en scène un narrateur excédé par les bruits domestiques, sons banals de la vie quotidienne dans la maison qu’il partage avec ses parents et ses sœurs. Ce texte extrêmement bref est avant tout un modèle de construction parfaite, avec sa fin inattendue. Dès les premiers mots, Kafka nous plonge dans l’angoisse terrible de son narrateur, énumérant tous les bruits qui l’entourent et l’agressent, et ce court portrait d’un homme en proie à la folie annonce le Gregor Samsa de La Métamorphose, texte auquel s’attelle Kafka peu de temps après l’écriture de cette nouvelle.
Un jeûneur et autres nouvelles de Franz Kafka Traduit de l’allemand par Bernard Lortholary. (Garnier Flammarion) 188 pages, 5,90 €
Le Voisin
Texte extrêmement court lui aussi, disponible en français dans une traduction d’Alexandre Vialatte, Le Voisin met en scène un narrateur qui explique en préambule : “Toute mon affaire repose sur ses épaules.” Il loue un bureau pour une activité professionnelle dont on ne saura rien, sauf qu’il emploie deux jeunes filles et qu’on trouve dans ses locaux des machines à écrire, un livre de comptes et un téléphone. Voilà l’objet de son angoisse. Car, cet homme est persuadé que son voisin, qui officie dans le même secteur que lui, l’écoute à travers le mur lorsqu’il converse avec ses clients. Kafka excelle ici à nous plonger dans une paranoïa terrifiante qui prend ses sources dans un quotidien banal.
La Muraille de Chine et autres récits de Franz Kafka. Traduit de l’allemand par Jean Carrive et Alexandre Vialatte. (Folio Gallimard) 288 pages, 9,90 €
Un petit bout de femme
Ce texte fait partie d’un ensemble de quatre nouvelles que Kafka avait réunies sous le titre Un jeûneur. Sans doute né d’un matériau autobiographique, il met en scène un narrateur aux prises avec une vieille femme qui, selon lui, le torture – Kafka se serait inspiré de sa logeuse. Là encore, il nous donne à voir la réalité à travers les yeux d’un fou, ligoté dans un délire de persécution. La méchanceté acide avec laquelle le narrateur décrit minutieusement la vieille dame nous révèle l’étendue de son obsession, car cette femme semble avoir colonisé son esprit. C’est pourquoi plusieurs commentateurs ont cru lire ici une allusion à l’écriture, qui ne laissait pas l’auteur en paix.
Un jeûneur et autres nouvelles Franz Kafka Traduit de l’allemand par Bernard Lortholary. (Garnier Flammarion) 188 pages, 5,90 €
Le Terrier
Ce texte inachevé a été publié de façon posthume et il est glaçant. Un narrateur, dont on ne sait s’il est un humain ou un animal, nous décrit le terrier dans lequel il vit. Galeries, issues camouflées, vastes salles, il nous explique par le menu l’utilité de cette architecture labyrinthique qu’il a conçue lui-même pour se protéger du monde extérieur. Mais, ce narrateur a peur, car il perçoit la présence d’un ennemi qui menace sa retraite, et peut-être a-t-il déjà investi les lieux. C’est à des sons inhabituels qu’il pense le repérer, sons qu’il guette, qu’il attend autant qu’il les redoute. Toute l’étrangeté froide de Kafka se concentre ici, et ce texte à lui seul provoque les multiples questions et interprétations que font naître son œuvre.
La Muraille de Chine et autres récits de Franz Kafka. Traduit de l’allemand par Jean Carrive et Alexandre Vialatte. (Folio Gallimard) 288 pages, 9,90 €
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