Un premier roman sur les bords d’autoroute, qui parvient à réenchanter les zones grises de la France. Original.
Un homme, qui tient une station-service, regarde le monde passer depuis sa boutique coincée entre deux bretelles d’autoroute. Mères de famille stressées, VRP alcooliques, motards moroses. Il tue le temps en matant en boucle des films catastrophe, ou en jouant aux dames avec son pote Nietzland, ancien prof de gym devenu coach. Il note ce qu’il vend le plus : “Le Coca Zéro. Les chewing-gums. Les chips. Les magazines érotiques ou d’automobiles. Les cartes de France. Les sandwichs. L’alcool. Les barres chocolatées (Mars en tête). Et évidemment l’essence. Une certaine idée du monde en fait : un monde totalement junkie, dont je serais le principal dealer.” Adepte d’une philosophie de comptoir, ce narrateur-pompiste devient comique malgré lui sous la plume alerte et malicieuse de l’auteur. “J’aurais tant aimé être Baudrillard, courir nu dans les champs”, confie-t-il.
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Un roman réjouissant, qui donne une envie furieuse de prendre sa voiture
Son univers d’énergumènes pathétiques, de dézingués de tous poils et de parfaits connards (son boss, son beau-frère), sa lucidité froide, sa causticité évoquent un autre écrivain, familier lui aussi des bords de route, qui fit quelques années un boulot semblable non pour une station-service mais pour un péage : Philippe Djian. Le récit présente une particularité remarquable : il est écrit en très courts aphorismes, que l’on pourrait décrire comme des haïkus tant ils sont concis et spirituels, résumant chacun en quelques mots soit une pensée, soit une histoire soit, une émotion complexe.
L’auteur a d’ailleurs vécu plusieurs années en Asie, mais c’est bien la France profonde, celle que l’on dépasse vite pour remonter dans sa caisse, qu’il réenchante ici comme un Robinson Crusoé perdu dans la jungle périurbaine. Et puis il se passe des choses étranges dans cette station-service, où des inconnus déposent des livres à un destinataire tout aussi mystérieux, quand ce n’est pas une jeune femme adepte d’hojojutsu, cet art martial à connotation érotique basé sur le supplice et la souffrance, qui poursuit notre pompiste sans qu’il comprenne pourquoi elle s’intéresse à lui. Un premier roman réjouissant, qui donne une envie furieuse de prendre sa voiture et d’aller observer notre étrange espèce, le plus loin possible de tout.
Chroniques d’une station-service (Verticales), 144 p., 15 €
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