Le polémiste Christopher Hitchens a tenu la chronique de sa condamnation à mort par le cancer dans Vanity Fair. Après Hervé Guibert ou Jean-Marc Roberts, un genre littéraire ?
Il était, jusqu’à sa mort en décembre 2011, l’un des éditorialistes phare de Vanity Fair, collaborateur flamboyant de The Atlantic et de Slate. Né en Angleterre en 1949, installé aux USA en 1981, Christopher Hitchens, ancien trotskiste formé sur les bancs d’Oxford, fut un proche de Martin Amis, Ian McEwan et Salman Rushdie et un disciple de George Orwell et Thomas Paine. Il a oscillé toute sa vie entre aspirations gonzo (ses fidèles n’ont pas oublié son enquête vécue sur l’épilation du maillot) et penchants iconoclastes. Auteur d’un livre contre Mère Teresa en 1995, d’une bio à charge contre Bill Clinton en 1999, d’un essai polémique sur Kissinger en 2002 et d’un pamphlet férocement antireligieux, Dieu n’est pas grand : comment la religion empoisonne tout – son premier best-seller -, en 2007, il prend position, au début des années 2000, pour la guerre en Irak et dénonce « l’islamofascisme ».
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Ultime bravade, sa dernière série de chroniques, dans Vanity Fair entre juin 2010 et sa mort en décembre 2011, a pavé son chemin vers le trépas dans une sorte de near death experience au long cours. Mais bien que, pour un artiste ou un journaliste, documenter sa mort apparaisse comme le projet ultime, la limite est évidente et intrinsèque : si l’on peut tenir le registre de la mort en tant que processus, le récit s’arrête quand « l’action » a lieu.
A l’approche de la mort, l’un devient sarcastique, l’autre sentimental
Les attitudes, dès lors, varient : si la maladie rend Hitchens analytique et sarcastique, elle a fait naître sous la plume de Jean-Marc Roberts, au printemps dernier, un testament sentimental bouleversant et jamais cynique (Deux vies valent mieux qu’une). Avec le film La Pudeur ou l’impudeur, Hervé Guibert s’était, lui, attaché à documenter précisément la déchéance de son corps gangrené par le sida. A la fin des années 90, c’est le journaliste anglais John Diamond, atteint d’un cancer à l’oesophage, qui chroniquait son expérience dans le Times. « La seule chose sur laquelle je pouvais écrire », disait-il.
Face à la maladie, Hitchens est pris d’un mélange de curiosité et de sombre perplexité. Près de 8 millions de personnes sont mortes d’un cancer en 2008, selon l’OMS, et le journaliste constate lui-même que, « comme de nombreuses variétés d’expériences dans la vie, la nouveauté d’un diagnostic de cancer malin a tendance à s’user. La chose commence à perdre de son intérêt ». Oscillant entre dérision et sérieux (sa première chronique s’appelait « Topic of Cancer »), il plonge dans des questions anodines et essentielles (survivra-t-il à sa carte Amex qui affiche, elle, clairement sa date d’expiration ?), s’adonnant à des constatations drôles et pathétiques (« Lorsque vous tombez malade, les gens vous envoient des CD. Très souvent (…), c’est du Leonard Cohen »). Dans son autobiographie, Hitch 22, en 2010, Hitchens avait déjà exprimé ses ambitions : « Je veux aborder la mort de manière active et non passive, et être là pour pouvoir la regarder dans les yeux quand elle viendra me chercher. » Mourir en faisant oeuvre, ultime geste romanesque.
Clémentine Goldszal
Vivre en mourant de Christopher Hitchens (Climats/Flammarion), traduit de l’anglais par Bernard Lortholary, 118 pages, 17 €, en librairie le 4 septembre
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