Entre poésie, tendresse et violence, Quentin Zuitton dessine nos émotions, leur empreinte sur nos corps. Dans sa BD « Chromatopsie », il nous charme et nous ravit en parlant cul, amour, rupture, vieillesse et oppressions. On en ressort tous séduits.
Dans leur intimité, les onze personnages doivent affronter la grossophobie, la vieillesse, le sexisme, ou encore la peur de la transphobie. Avec un trait fin, des touches d’aquarelle et un habile jeu des couleurs, Quentin Zuitton se fait le témoin caché de scènes confidentielles, quotidiennes, dépeintes sans jugement.
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“Donner une marque corporelle aux émotions”
Sa force d’artiste, c’est son attachement farouche au corps. « Je voulais donner une marque corporelle à toutes les émotions qu’on n’arrive pas à verbaliser, à lâcher », nous confie-t-il. Auprès d’un époux abusif, une femme se transforme en épine géante. Une jeune fille fait son coming-out en se masturbant sur la table du déjeuner du dimanche, avec une pièce de viande rouge. « T’as pas idée comme on est sauvages. […] Je la bouffe, je l’aggripe », lance-t-elle à sa famille, en dévorant un morceau de steak saignant. C’est violent, charnel, parfois tragique, mais terriblement vrai.
Sur fond de confessions vives, crues, Quentin Zuitton nous emporte en imaginant des métamorphoses folles et justes, aux airs de provocation jouissive, de vengeance exaltante, parfois enragée. Il donne un corps, un mouvement, des couleurs à nos émotions. Et interroge les non-dits. La « marée noire » devient l’expression de la rupture. L’homme quitté se retrouve piégé, quasiment englouti par le pétrole noir, qui lui laissera, toute sa vie, des marques indélébiles sur la peau.
Le blanc, lui, est la teinte d’une solitude invisible, sans fard, qui disparaît peu à peu quand une nouvelle relation apporte de la couleur à la vie du personnage. Le bleu devient la couleur du désir, incarné par des papillons bleus, à saisir vite avant qu’ils ne s’envolent. Ni pédagogique, ni éducatif, Chromatopsie est un récit poétique, bouillonnant, au rythme rapide. Tous ses « héros » tentent de s’élever contre les oppressions qui les assaillent, pour se libérer, se défendre, attaquer, ou sinon céder.
Dessiner les parcours LGBT+
Artiste gay, Quentin Zuitton s’est aussi inspiré de son expérience personnelle, de ses ruptures à ses années d’introspection. « Dans les histoires LGBT+, on passe des nuits à se poser des questions sur nous-mêmes tout en continuant à vivre normalement, alors qu’on a envie d’hurler des sentiments ». Des parcours queers qui prennent forme dans Chromatopsie, avec l’histoire insouciante de Thomas, un bambin déguisé en « petite princesse jaune » pour une fête d’anniversaire.
En sortant ce recueil d’histoires courtes, Quentin Zuttion tourne une page. Déjà, au 1er janvier 2018, le jeune Parisien a arrêté d’utiliser son pseudonyme, « Monsieur Q ». « C’est fini l’adolescence, j’étais prêt à entrer dans le grand bain », plaisante-t-il, fier de voir son vrai nom sur la couverture.
Passé par les Beaux-Arts, il a longtemps été décrit comme un « enfant sage comme une image », apprenant à ne jamais exploser. « Jusqu’au jour où ça pète, ironise-t-il. Je ne veux pas du tout que mon image soit sage ». Ses planches sont un exutoire. Majoritairement lu par la génération Y, il a commencé en dessinant pour le média féminin Madmoizelle et le magazine Néon, avec des planches engagées et féministes. On adorait déjà.
Chromatopsie, Quentin Zuttion, Editions Lapin, juin 2018, 240 p., 24 €.
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