Dans un texte relevant autant de l’essai que du témoignage, le libraire Christian Thorel revient sur sa carrière, les évolutions de son métier et formule un beau plaidoyer en faveur des librairies indépendantes.
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“Est-il encore temps d’enrayer l’épidémie qui, après les libraires, tuera les éditeurs indépendants et réduira les créateurs au silence ou à la soumission ? Sans doute. Mais le voulons-nous vraiment ? Je ne sais : non seulement les civilisations sont mortelles, mais il leur arrive parfois de se suicider.” Nous sommes en 1978 et Jérôme Lindon, directeur des Editions de Minuit, publie La Fnac et les livres, un court texte où il s’inquiète du “discount intensif” auquel a recours la célèbre chaîne de magasins depuis qu’elle a commencé à vendre des ouvrages, en 1974. Plus de quarante ans plus tard, le libraire Christian Thorel constate que rien ou presque n’a changé et appelle ses pairs à “rester en éveil” : “Nous pourrions aujourd’hui encore reprendre mot pour mot cette conclusion pour évoquer la menace d’une emprise d’Amazon sur le secteur de l’édition.”
Dans Essentielles Librairies, un opuscule relevant autant du témoignage que de l’essai, le fondateur de la librairie indépendante toulousaine Ombres Blanches évoque avec une grande délicatesse ses débuts en tant que libraire indépendant, en 1976, et les nombreuses évolutions que son métier a connues au gré des mutations politiques, économiques et sociales au sein de la société française. Il y est donc bien sûr question de la concurrence initiée par la Fnac et consorts, de l’émergence d’Amazon et plus globalement de la vente en ligne, mais aussi des nombreux combats menés par les libraires indépendant·es afin de lutter contre cette “prédation” de la grande distribution. Parmi eux, la lutte pour l’instauration d’un prix unique du livre, une mesure qui sera finalement inscrite dans la loi en 1981.
Dans ce texte dont le titre fait écho à la pandémie de Covid-19 et à l’arbitraire classification essentiel/non-essentiel, l’auteur consacre en outre de belles pages sur les librairies en tant que lieux de sociabilité, de démocratisation des savoirs, de silence aussi. “Existerait-il une plus belle demeure que celle-ci ?” La réponse
est évidemment dans la question.
Essentielles Librairies (Gallimard/“Tracts”), 64 p., 3,90 €
Trois questions à Christian Thorel
En quoi les librairies indépendantes sont-elles “essentielles” ?
Christian Thorel — Il y a l’essentiel essentiel, soit ce qui a trait à la nourriture et aux soins, mais aussi l’enjeu de l’essentiel pour l’esprit, qui passe par la culture et particulièrement par les livres. Et, lors de la crise sanitaire, tout le monde a assez vite convenu que les librairies sont des lieux nécessaires à notre équilibre mental et moral, des lieux où l’on peut se représenter un peu du bonheur dont nous avons besoin. Entrer dans une librairie, c’est quitter le stress de la rue : les livres sont aussi des éponges à angoisses.
Les librairies sont selon vous “les maisons des vivants”.
En hébreu, le mot “cimetière” se traduirait ainsi. Et, dans les librairies, nous sommes dans des cimetières-jardins dans lesquels les morts restent vivants : c’est la grande force des librairies que d’être des lieux où des mémoires sont entretenues, tout en étant toujours actuelles, dans le présent.
Quel avenir pour ces lieux face au pouvoir croissant d’Amazon ?
Il nous faut une vraie et subtile politique de l’offre et de la demande : je ne crois pas à l’idée du libraire en tant que prescripteur définitif, nous devons aussi répondre à nos publics. En parallèle, tant que le public saura qu’il vient trouver dans les librairies ce qu’il ne cherche pas, tant qu’elles resteront à ses yeux le lieu de l’éveil des désirs, les librairies seront là.
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