Avec “L’Art du silence”, l’essayiste explore l’œuvre de ses écrivains fétiches, à même de “rendre sensibles des forces, des signes, des puissances qui ne l’étaient pas”.
Depuis son essai Tombeau de la fiction, paru en 1999, Christian Salmon prend le parti de la littérature qui cherche à déjouer la ruine des mots, propre à ce qu’il appelle notre âge “post-narratif”. C’est bien à un horizon expérimental et existentiel que Salmon rattache la littérature, dont il est un observateur avisé, autant à travers des récits inquiets sur les dérives du récit qu’à travers ses engagements en faveur des écrivain·es persécuté·es.
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Avec L’Art du silence, l’essayiste oppose à ce tombeau une foi inébranlable dans la puissance active de la littérature, en explorant son mausolée secret, constitué de romanciers (où sont les écrivaines ?) disparus – Kafka, Gombrowicz, Gogol, Proust –, mais aussi vivants – Salman Rushdie, Don DeLillo, Kundera, Volodine, Vila-Matas. Ce qui l’anime excède le problème de la censure pour se concentrer sur “le cœur même de l’expérience littéraire” : ce geste saisissant qui déstabilise le et la lecteur·trice autant qu’il revitalise.
Salmon creuse la puissance de l’écriture, qui “fait passer le langage par un point zéro”
À travers l’exploration de l’œuvre de romanciers qui ont en commun ce qu’il appelle “une certaine expérience du silence”, Salmon creuse la puissance de l’écriture, qui “fait passer le langage par un point zéro à partir duquel se réinvente une syntaxe, une grammaire, une ‘langue étrangère’, comme disait Proust.” Le livre témoigne ainsi de “ces œuvres non pas arrachées au silence, mais creusées dans la matière du silence, dont la matière est le silence”.
Exercices d’admiration
Si, tel que Vila-Matas en témoigne, le silence renvoie parfois à la tentation qu’ont des écrivain·es à fuir la littérature elle-même, cet art du silence appelle moins à se taire qu’à taire les manières codifiées de voir et de penser, pour chercher à “rendre sensibles des forces, des signes, des puissances qui ne l’étaient pas”.
Dans le chaos de nos crises actuelles, nous avons besoin d’acousticien·nes, dont les récits donnent forme à nos expériences.
Sensibles à la rumeur du monde, ces écrivain·es sont ce que Salmon appelle des “acousticiens”, par opposition aux “ambianceurs”. Or, dans le chaos de nos crises actuelles, nous avons moins besoin d’ambianceurs et d’ambianceuses raconteur·euses d’histoires, “capables de nous occuper, de meubler le vide, de nous distraire ou de détourner notre attention”, que d’acousticien·nes, dont les récits donnent forme à nos expériences.
Si Salmon tire plusieurs fils à la fois dans ses exercices d’admiration, une idée forte réunit l’ensemble : si les romans ne nous enseignent rien, ni vérité ni leçon, “ils abritent la vie”. C’est par leur capacité à percer “le cœur obscur de l’expérience”, qui sans eux serait resté à jamais inaccessible, que les romans, dans leur essence même, nous aident à vivre, en silence.
L’Art du silence de Christian Salmon (Les Liens qui libèrent), 266 p., 16 €. En librairie le 5 octobre.
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