Avec “Un beau voyage” déroutant et sa version d’“Orlando”, la dessinatrice française témoigne de son goût pour la liberté et les faux-semblants.
Sur un bateau perdu en pleine mer, un capitaine et son bras droit au visage triangulaire attendent que le vent se manifeste. Immobiles, ils s’occupent en conversant, appelant à l’aide leurs souvenirs pour lutter contre l’ennui. Comme la mer reste désespérément calme, l’expédition risque de n’être qu’imaginaire.
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Pourtant, il est impossible de s’ennuyer avec Un beau voyage, beaucoup plus mouvementé et profond qu’un rapide coup d’œil ne pourrait l’indiquer. Il faut se méfier du trait minimaliste et faussement naïf de Delphine Panique, comme de ses couleurs acidulées qui donnent l’aspect de sucreries à des histoires qui ont un goût complexe et amer.
La dessinatrice toulousaine, habituée à naviguer entre lectorat adulte et public jeunesse, nous emmène loin du large en impulsant beaucoup de fantaisie. Les premiers chapitres de son livre au format à l’italienne laissent ainsi voir des îles ou des animaux aux noms loufoques, nous projetant dans un état de rêverie amusée. Jusqu’à ce qu’un autre personnage fasse son apparition dans ce théâtre burlesque et réoriente Un beau voyage vers des sujets comme l’oppression et l’esclavagisme. Quand arrive le mot “Fin” au-dessus d’une image de mer bleue, l’ampleur du périple donne le vertige.
On retrouve le même souffle de liberté quand Panique adapte de manière très personnelle Orlando de Virginia Woolf. Dans un prologue inédit ajouté à cette seconde édition, la dessinatrice explique comment, malgré l’émoi provoqué par plusieurs lectures, elle n’a jamais cherché à être fidèle au roman. “J’assume et je m’autorise toutes les imprécisions.”
Si elle respecte le changement de sexe d’Orlando, elle suit de manière très approximative la trame. Elle s’inspire de ses propres voyages pour réaliser des détours et greffe des personnages de son invention, sans parler des anachronismes qu’elle manie avec facétie. “Rien à voir avec ce que je fais”, constate-t-elle quand elle ouvre à nouveau le livre de Woolf et compare avec sa BD gracile en noir et blanc, dont on apprécie le mélange de poésie et de folie.
Un beau voyage (Misma), 300 p., 19 €
Orlando (Misma), nouvelle édition, 232 p., 18 €
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