Alors qu’on fête cette année le centenaire du Goncourt de Marcel Proust, il faut relire ses lettres pour tout comprendre de la publication de Du côté de chez Swann en 1913.
Ce livre était d’abord paru en 1954 chez Corrêa, sous le titre Proust et la Stratégie littéraire.
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Depuis, certaines des lettres qui composent ce volume avaient été oubliées, si bien que lorsqu’on en a retrouvé des originaux dans un volume collector, d’époque, de Du côté de chez Swann, mis en vente aux enchères chez Sotheby’s il y a deux ans, la presse s’en était emparée en poussant des hauts cris : quoi, Proust écrivait aux directeurs de journaux pour qu’ils publient de la pub pour lui ? Pour publier des critiques ? Quoi, Proust écrivait lui-même des encarts annonçant son livre ? Lui qui avait déjà publié Du côté de chez Swann à compte d’auteur chez Grasset était-il à ce point pathétique ? Machiavélique ? Corrompu ?
Il faut absolument lire ce volume réédité aujourd’hui sous le titre « Cher ami… » (sous-titré Une histoire épistolaire de la publication d’A la recherche du temps perdu) pour comprendre ce qui s’est vraiment joué lors de la sortie du premier volet de La Recherche…, et comment et pourquoi Proust l’a accompagnée, et a même, en effet, tout organisé.
Conscient de l’importance de son œuvre
Né en 1871, Marcel Proust, alité dans sa chambre couverte de liège du boulevard Haussmann, est absolument dédié à un projet qui dépasse amplement ce qu’il a publié au préalable : des traductions de Ruskin, le recueil de poèmes Les Plaisirs et les Jours, qu’il reniera d’ailleurs à la parution de Du côté de chez Swann en 1913.
Il est alors encore perçu comme le petit Marcel, un snob et un mondain, un riche et un frivole. Rien de plus, et il va lui être extrêmement difficile d’être accepté comme écrivain de vraie littérature, donc d’être pris au sérieux. Son manuscrit a été refusé par Gide chez Gallimard (qui s’en mordra les doigts).
A la lecture de ses lettres, et du récit passionnant, érudit, que fait de l’histoire et de l’époque Léon Pierre-Quint entre chaque lettre, replaçant ainsi chacune dans son contexte, on découvre à quel point Proust était conscient de l’importance de son œuvre, et de la fragilité de sa personne et de sa réputation.
Il prend alors la plume pour écrire à René Blum (il est le principal destinataire des lettres de cette édition), le patron de la revue Gil Blas, pour lui demander un service : le recommander au patron des éditions Grasset pour une publication à compte d’auteur.
Non pas parce que Grasset trouverait le livre nul et risquerait de le refuser. Ce qui sidère et bouleverse dans ces lettres de Proust, c’est à quel point l’homme, génial, sait tout, pige tout vite, se connaît bien.
S’il organise de main de maître la sortie de son livre, c’est qu’il y tient plus qu’à sa vie même et refuse de le gâcher avec une publication bâclée. D’où sa volonté de tout contrôler, pour être sûr que l’œuvre dans laquelle il a tout mis, et s’est mis tout entier, voie le jour entièrement, et puisse atteindre la postérité.
Le temps qu’on croyait perdu soudain retrouvé
Dans une lettre à René Blum, il explique ainsi son choix du compte d’auteur, supposant que Blum va lui répondre, comme tous, qu’il devrait éviter ce type de publication : « Mais mon cher ami, je suis très malade, j’ai besoin de certitude et de repos. Si M. Grasset édite le livre à ses frais, il va le lire, me faire attendre, me proposer des changements, de faire des petits volumes, etc. Et aura raison au point de vue du succès. Mais je recherche plutôt la claire présentation de mon œuvre. »
« Les volumes, cela était si facile de les écrire, et dans la difficulté plus agréable encore” – Marcel Proust
Proust n’a plus de temps à perdre. A l’heure où il termine Du côté…, en 1911, c’est un homme isolé, en qui personne ne croit vraiment, qui écrira : « Les volumes, cela était si facile de les écrire, et dans la difficulté plus agréable encore. Mais comme cela sera difficile de les faire imprimer ! », plus rien n’a d’importance que « l’œuvre d’art, son œuvre véritable ».
Proust sera snobé par la presse, qui le relègue toujours au Proust mondain et frivole, mais il aura le Goncourt en 1919 (hélas, peu de lettres à ce sujet). Le reste appartient à l’histoire.
Reste que, dans ces lettres, présentant son projet à qui il peut, Proust en dévoile le véritable enjeu : les souvenirs involontaires, le temps qu’on croyait perdu soudain retrouvé.
« Un tout très composé, quoique d’une composition si complexe que je crains que personne ne le perçoive et qu’il apparaisse comme une suite de digressions. C’est tout le contraire. »
« Cher ami… » Une histoire épistolaire de la publication d’A la recherche du temps perdu (Les Cahiers rouges/Grasset), lettres commentées par Léon Pierre-Quint, 168 p., 9,50 €
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