Dans un récit autobiographique enfin traduit, le tueur et gourou Charles Manson propose « sa vérité » pour contrer les mensonges du mythe qui l’entoure. Plongée dans la tête d’un psychopathe. Fascinant et glaçant.
En août, on commémorera les 50 ans de la série de meurtres la plus connue de l’histoire du crime. En tout, huit assassinats dont celui de l’actrice Sharon Tate mariée à Roman Polanski et enceinte de huit mois, commentés, racontés, romancés jusqu’au vertige. Au point de devenir quasi mythologiques.
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Rien que cette année, le carnage de la Manson Family inspirera Once Upon a Time in Hollywood de Quentin Tarantino, Charlie Says de Mary Harron, ou la deuxième saison de la série Mindhunter, produite par David Fincher et Charlize Theron. Et cela sans compter les centaines d’essais, de romans, de chansons et de films consacrés, ces cinquante dernières années, à cet été 1969 et à la figure du criminel christique. Autant de projections fantasmatiques d’un fait divers qui a versé dans le grand spectacle, d’une réalité devenue un mythe populaire.
Un psychopathe drogué, taré, raciste
Charles Manson est mort en prison en 2017. Il avait 83 ans. Incarnation du mal, monstre démoniaque : la légende qui l’entoure et le culte qui l’accompagne sont nés dès son procès en 1971. Par les voix de la justice et des médias de masse, le monde découvrait alors, entre stupeur, fascination et répulsion, un psychopathe drogué, taré, raciste, se prenant pour la réincarnation du Christ. Un gourou qui recrutait ses adeptes parmi les paumé.e.s de son époque dans le but de fomenter une guerre raciale entre Blancs et Noirs. Les meurtres commandités par Manson et organisés pour faire peser les soupçons sur les Black Panthers devaient servir d’étincelle au chaos.
Sur près de 400 pages, sans jamais exprimer de regrets ni de culpabilité, Manson se présente comme un enfant abandonné, un voleur minable
Autobiographie inédite en France, Charles Manson par lui-même propose une autre version du mythe. Un récit de l’intérieur, comme une plongée dans la psyché glaçante du criminel, au plus près de celui qui fut le cauchemar de l’Amérique hippie. Né de l’amitié entre le gourou et Nuel Emmons, ex-taulard reconverti dans le journalisme, le livre est le produit d’une centaine d’heures d’entretiens menés entre 1979 et 1985.
Si Manson a accepté le projet de Nuel Emmons, c’est pour dire « sa vérité », briser l’image du gourou sataniste aux pouvoirs surnaturels, « ce tissu de mensonges » que la justice et les médias auraient créé. Alors, sur près de 400 pages, sans jamais exprimer de regrets ni de culpabilité, Manson se présente comme un enfant abandonné, un voleur minable, un musicien raté, un apôtre de l’amour libre, un défenseur de la nature dont les idéaux humanistes ont fini par vriller accidentellement à cause de l’abus de drogue. Il va même jusqu’à sous-entendre qu’il tient plus du « martyre révolutionnaire que du tueur endurci ».
« Pourquoi suis-je toujours un tel symbole pour ces jeunes ? »
Et l’aspect le plus terrifiant de cette entreprise, c’est qu’il arrive presque à nous le faire croire. Car Manson est fin et drôle, convaincant et séduisant. En un mot : ensorcelant. Et c’est alors qu’on réalise le terrifiant pouvoir d’envoûtement qu’il a pu exercer sur les membres de sa « famille », puis plus tard sur des milliers de mômes égaré.e.s, en marge de la société, qui continuèrent de l’aduler pendant tout le temps de sa vie derrière les barreaux.
Car au-delà de ce dérangeant plaidoyer d’autodéfense, il reste ce que les crimes de Charles Manson disent du monde dans lequel ils s’inscrivent : « Le vrai mal est ailleurs et autrement plus troublant, constate le criminel avec une lucidité cruelle. Pourquoi suis-je toujours un tel symbole pour ces jeunes et ces aspirants disciples ? C’est votre monde qui est responsable de ça (…) Tout ce qu’ils savent de moi provient de votre monde. »
Le criminel reste le produit de la justice et des politiques carcérales américaines, l’enfant du sensationnalisme, de la violence
Dans la préface de l’ouvrage, Nuel Emmons avance que « si la société donna au procès de la ‘Famille’ et de son leader des allures de procès en sorcellerie, ce fut aussi (surtout) pour ne pas avoir à instruire le sien ». Manson, abandonné par sa mère, fut pupille de l’Etat, puis prisonnier pendant plus de soixante-cinq ans de sa vie. Héritier de l’Amérique pauvre, rigoriste et ultrareligieuse, élevé dans des maisons de redressement pour mineurs où il fut battu et violé, puis formé au crime dans les pénitenciers d’Etat, le criminel reste le produit de la justice et des politiques carcérales américaines, l’enfant du sensationnalisme, de la violence et du fanatisme de la société. « Rien d’autre que le reflet du mal qui possède tous ces gens qui ont créé le monstre et perpétuent le mythe à l’usage des gamins ignorants. »
Léonard Billot
Charles Manson par lui-même (Séguier), préface de Simon Libérati, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Laurence Romance, 384 p., 19,90 €
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