Leïla Slimani revient sonder les vices de l’être humain. Avec ce portrait d’une nourrice meurtrière, elle signe une fiction glaçante. Qui vient d’être couronnée aujourd’hui par le prix Goncourt.
Peu s’en souviennent, mais sous l’air apaisant de cette “chanson douce” que nous chantaient nos mamans (et Henri Salvador en 1950) se cache un conte aux allusions inquiétantes. Dès les premiers temps de la chanson, un loup, caché dans le bois, guette “une petite biche aux abois”.
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Plus loin, le prédateur chassé et la menace écartée, le frêle animal se transforme en princesse “aux jolis cheveux”. A l’adulte chantant de promettre alors protection et douceur “jusqu’à la fin de (sa) vie”. Oui, mais après ?
Promesses de tragique
De l’univers des contes – dont elle a tiré aussi le titre de son premier roman, Dans le jardin de l’ogre (Gallimard, 2014) –, la jeune Leïla Slimani semble ne retenir que les monstres inquiétants, les sourdes menaces et les promesses de tragique.
Mais aux sous-entendus angoissants, l’auteur préfère ici la crudité d’un drame exposé au premier paragraphe : “Le bébé est mort. Il a suffi de quelques secondes (…) La petite, elle, était encore vivante quand les secours sont arrivés. Elle s’est battue comme un fauve. On a retrouvé des traces de lutte, des morceaux de peau sous ses ongles. Dans l’ambulance qui la transportait à l’hôpital, elle était agitée, secouée de convulsions. Les yeux exorbités, elle semblait chercher de l’air. Sa gorge s’était emplie de sang. Ses poumons étaient perforés et sa tête avait violemment heurté la commode bleue.”
Le loup aux aguets n’a laissé aucune chance aux petites biches aux abois. Dans le rôle des proies : Adam en poussette et Mila à l’âge des poupées. Les parents, Myriam et Paul, sont de jeunes Parisiens dynamiques. Elle est avocate, lui producteur de musique.
Le loup dans la bergerie
A la naissance du second, ils ont fait dresser une cloison dans le salon pour ne pas avoir à quitter leur deux pièces de SoPi (South Pigalle pour les in). Ils craignent la crise mais partent en Grèce début août. A la naissance du second, ils ont surtout décidé d’engager une nourrice pour que Myriam puisse reprendre le chemin du parquet. Paul désapprouve mais s’aligne.
Après un casting sévère, ils trouvent leur nounou d’enfer : dévouée, discrète et volontaire, Louise semble parfaite. Les enfants l’adorent, les parents sont ravis et leurs amis les envient.
Mais alors que le loup est dans la bergerie, l’analogie avec le conte s’arrête là. Car, loin des métaphores fantastiques et des ritournelles enfantines, Leïla Slimani déroule ici une langue aussi précise qu’incisive.
Abîmes de la monstruosité humaine
Sans ostentation ni jugement, elle s’immisce au cœur du foyer bourgeois et investit l’appartement, petit théâtre exigu du drame en devenir. En plus du tableau de famille, l’habile romancière esquisse, en négatif, le portrait de la nourrice en prédatrice.
En cherchant plus à décrire – pour comprendre – qu’à juger – pour condamner –, le récit interroge les préjugés de classes et plonge avec brio dans les abîmes de la monstruosité humaine. Bonne nuit, les petits !
Chanson douce (Gallimard), 240 pages, 18 €
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